Cette année, nous célébrons à la fois le 50e anniversaire du Nancy Jazz Pulsations et le 50e anniversaire de la naissance du hip-hop. Cette coïncidence est d’autant plus remarquable car le festival a l’honneur d’accueillir le rappeur Mos Def (Yasiin Bey Live Band ft. Hypnotic Brass Band) pour célébrer ses 50 ans, aux côtés d’artistes tels qu’Érik Truffaz, Magma, Émilie Simon, et bien d’autres encore. Si le NJP était l’équivalent d’un Big Band, on pourrait certainement considérer Thibaud Rolland comme son chef d’orchestre en tant que Directeur Programmateur. Playboy a eu l’occasion de le rencontrer pour discuter du festival, de son histoire et de la ville qui l’abrite.

Êtes-vous originaire de la région ? Si oui connaissez-vous le festival quand vous étiez plus jeune.

Je suis originaire de Reims (Champagne !), pas de Nancy ni de Lorraine mais après tout, on fait tous partie du Grand Est aujourd’hui 😉
J’ai découvert le festival relativement jeune cela dit, je suis venu étudier en licence à Metz en 2008 (j’avais 20 ans) et je suis tombé sur les affiches de NJP collées à travers la ville et j’ai halluciné sur l’éclectisme de cette programmation.
« Caramba ! » je découvrais un festival en France qui mêle TOUS les genres musicaux, et ce, à 200 kms de ma ville de naissance, sans que je ne le connaisse. Un festival qui n’a pas choisi de mettre d’un côté les jazz(s), et de l’autre les musiques actuelles. J’ai donc souhaité de suite y effectuer mon stage, ce qui s’est passé quelques mois après où j’ai intégré l’équipe en mai 2009.

J’avoue humblement que je connaissais votre événement, mais je n’avais aucune idée de son importance. On dirait qu’il a presque une place unique vu qu’il s’étale sur plusieurs semaines, c’est foisonnant , du coup j’imagine qu’il a une relation particulière avec les festivaliers, comment la définiriez-vous.

En effet le NJP est un peu un ovni dans le paysage des festivals de musique en France.
En octobre, hors période de vacances scolaires, pendant 15 jours et dans de nombreux lieux.
Les Nancéiens ont le festival dans la peau. Quand je suis arrivé, l’un d’eux m’a même mis en garde (dans la nuit au Magic) de bien prendre soin de « leur » bijou 😉
Les festivaliers participent au festival de génération en génération, et puis c’est un lieu de retrouvailles, des personnes qui ne se voient pas souvent « se donnent rdv au NJP ».
Depuis le début, le cœur du festival est installé au Parc de la Pépinière, le poumon vert de Nancy mais va aussi auprès des publics empêchés : établissements de santé, lycées, écoles, restaurants et résidences universitaires mais aussi dans les bars, les marchés etc…Une partie importante de la programmation est gratuite ce qui permet de rendre la musique accessible au plus grand nombre.
NJP organise aussi des tournées (30 concerts cette année en Lorraine, en Grand Est, et même au-delà) ce qui permet également d’aller vers un public plus rural.
En bref, une programmation qui rayonne dans de multiples lieux différents sur son territoire et qui permet d’avoir (quasiment) un lien particulier avec chacun des habitants de Nancy et de Lorraine !

La relation avec les musiciens est particulière aussi.
Du fait de son âge avancé, l’un des premiers festival de musique en France, je pense aussi que le festival a « pétri » une scène jazz lorraine, en ce sens que les musiciens âgés aujourd’hui de 30, 40, 50 ou 60 ans sont nés et ont grandi en fréquentant le festival, ont vu Ray Charles, Nina Simone, Oscar Peterson, Miles Davis mais aussi Run DMC, Daft Punk etc… Et comme il y a beaucoup d’écoles de musique à Nancy aussi (une très connue qui s’appelle la M.A.I.), cela n’a fait qu’accentuer la densité du nombre de musiciens de cette région.

Quand j’étais jeune j’ai vu changer le festival de Jazz de Nice, chaque année on voyait de grands noms disparaître. Comment voyez vous l’évolution de la relation entre votre événement et le jazz ?

Depuis ses débuts NJP a souhaité considérer la musique dans son ensemble, en faisant la part belle au(x) jazz(s) évidemment, mais en invitant aussi le blues dès le départ et les ancêtres des musiques électroniques (Terry Riley par exemple), puis rapidement les musiques du monde dans les années 80 (Doudou Ndiaye Rose) et la pop (Chris Isaak) et dans les 90s le rap (RUN DMC en 93), l’électro (Daft Punk en 97) ou la chanson (les débuts de -M-, Camille…).
L’ouverture est donc dans l’ADN de NJP.

Année après année, le festival évolue mais compte tout de même toujours 40% de jazz dans sa programmation, grâce notamment aux multiples configurations dont il est composé (salles petites ou grandes, assises ou debout) qui permettent d’accueillir de nombreux artistes de jazz (c’est peut-être la différence de configuration avec le Nice Jazz).
Force est de constater par ailleurs que les têtes d’affiches mythiques de jazz, tout comme celles du blues ou du reggae, disparaissent peu à peu et que les publics du jazz(s) évoluent eux aussi.

La mission que s’est donnée NJP est de maintenir une diffusion importante de ce genre musical à travers ses multiples facettes (jazz vocal, jazz manouche, jazz folk, jazz pop, jazz spirituel, free jazz, electro jazz, hip hop jazz…) et, outre les soirées en format assis à la Manufacture ou à Poirel qui accueillent 8 soirées autour du jazz, notre souhait est de conserver chaque année 2 grandes soirées jazz sur notre grande scène « le Chapiteau », en misant à la fois sur les légendes (Marcus Miller cette année) tout comme la « nouvelle scène » (Snarky Puppy en 2022, Roberto Fonseca en 2021) ou la Création des 50 ans autour de Michael League cette année qui réunit des musiciens de 30 ou 40 ans autour du bassiste. L’idée est aussi de placer quelques pépites sur des soirées cross over au Chapiteau comme Kamaal Williams qui ouvre pour Mos Def & Hypnotic Brass Ensemble et Faada Freddy ou SIXUN (groupe mythique de jazz fusion français) qui ouvre pour Cory Wong et dEUS cette année. Une démarche qui assoit notre postulat : il faut continuer à nourrir le(s) public(s) des jazz(s) mais aussi aller chercher de nouveaux passionnés (voir paragraphe ci-dessous).

Quelles sont les évolutions de la musique qui vous passionnent, que voudriez-vous faire découvrir à votre public ?

Je suis passionné par le constat que le jazz, à la racine de la black music (soul, house), se ré-invente depuis le début des années 2000 à partir des genres musicaux qu’il a lui-même enfanté donnant naissance à la nu soul, au nu jazz, au jazz hip hop etc… Un « jazz hybride » qu’il me tient à cœur de faire découvrir aux publics parfois éloignés du jazz tels que les aficionados d’électro ou de rap, sur qui je suis convaincu que ce genre musical fonctionne !

Quelles éditions auriez vous aimé voir dans chaques décennies ?

70s
1973 avec notamment Ray Charles, Oscar Peterson, Sun Ra, New Orleans Preachers

80s
1985 : avec notamment Sarah Vaughan, Miles Davis, Ray Lema, Keith Jarrett, Mory Kante, Wayne Shorter !!!

90s
1997 : l’ADN de NJP à maturité : Daft Punk, The Skatalites, Henri Texier, Julien Lourau Groove Gang, Paco de Lucia, Yuri Buenaventura, Morcheeba, Steel Pulse, Stefano di Battista…

00s
2001 : Lucky Peterson, Charles Lloyd 5tet, Biréli Lagrène, Archie Shepp, Terry Callier, Yann Tiersen, La Fonky Family, Rabih Abou Khalil, Jan Garbarek…

10s
2014 : Selah Sue, Ibrahim Maalouf, Plaza Francia, Youngblood Brass Band, Paul Personne, André Manoukian, Superdiscound 3 Live, Sébastien Tellier, Richard Galliano, Gregory Porter, François & the Atlas Mountains, Feu Chatterton…

Alain Goraguer a fondé le festival, Bernard Schaeffer à introduit le rock le blues et le reggae, Philippe Ochem à introduit les musiques électroniques Yannick Willery a soutenu la création musicale locale. Qu’avez-vous ramené de votre côté, et quelles sont les évolutions sur lesquelles vous travaillez ? Ou pensez-vous que d’un certain côté il est sans doute mieux de juste faire le plus bel événement possible et rester humble face au travail accompli, quel est le poids de cet héritage ?

A NJP, on a fait le choix, dans la logique de l’ADN et dans l’optique d’élargir l’audience du jazz, d’appuyer notre propos particulièrement sur cette scène « jazz hybride » ou « nu jazz » ce qui donne lieu chaque année à une soirée dédiée au Magic Mirrors de 20h à 04h mais aussi à la création d’un rdv appelé « Nancy Jazz UP! Europe » en 2022 qui a rassemblé (sous le soleil de la vieille ville !) une centaine d’artistes et professionnels européens issus du jazz et des musiques actuelles à Nancy réunis pendant 2 jours afin d’approfondir ensemble la manière de mettre en valeur et accentuer la diffusion de ce « jazz hybride » qui mêle les sonorités jazz aux rythmiques house ou hip hop. Une scène formidable qui ouvre la porte des clubs et des salles de musiques actuelles à ce « nu jazz » qui fait danser et qui ouvre les publics ! Un « jazz qui se danse », comme le jazz à ses débuts finalement 😉

Article : Florian Hodbert

Photo de Thibaud Rolland:© Alexandre Marchi 
Photo Chapiteau : ©LucieWDL

Photo de la ville© Régine Datin 

Main en l’air ©Vincent Zobler
Photo live ©LucieWDL

Photo Salle poirel ©Raphael Rodrigues photo