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YOSHIKI et moi
Il existe de ces êtres rares qui, dans la vie d’un jeune homme, et ce d’autant plus fort quand celui-ci se construit une vie d’artiste, dépassent leur réalité, leur légende, leur art même, pour devenir des héros qui nous soulagent comme des proches, des frères d’une autre mère. YOSHIKI est définitivement l’une des grandes inspirations de ma vie, de l’adolescence jusqu’à aujourd’hui encore. Quand le soleil se couchait sur mes journées de petit français qui composait ses premières chansons, je savais qu’au pays du soleil levant, là-bas, au loin, vivait un frère qui pourrait être mon père, et je m’endormais plus fort et moins seul. Je grandissais fasciné par les mélodies de chant et de violon dans Tears et Say Anything, je connaissais par cœur ses disques classiques et tous leurs arrangements, jusqu’aux harmonies de l’orchestre (j’adorais le travail sur Amethyst !), j’apprenais le piano avec le solo d’Art of Life, j’avais l’impression d’être le seul ado en province française à écouter Violet UK… Puisque les deux missions de mon existence sont la littérature et la musique, et que j’ai déjà eu la chance sublime de faire de mon écrivain vivant préféré mon mentor et mon ami, il était tout naturel, me disais-je, qu’un jour, je croise la route de mon musicien et mélodiste favori. Le hasard n’existe pas et si ma musique (sous le nom Sedona Sunrise) ressemble plus à celle de Nick Cave pour qui l’écouterait trop rapidement, ceux qui auraient suffisamment d’oreille entendraient certainement les doigts de YOSHIKI qui guident les miens sur les touches du piano : il n’est pas impossible que je sois ce que le « rock » de notre pays puisse avoir de plus proche d’un YOSHIKI français. Un fil du destin relie ainsi, par-delà les siècles et les frontières, les êtres qui méritent de se connecter, de Jacques Vaché mon ancêtre mythique poète inventeur du surréalisme et mort en 1919 à YOSHIKI, plus grande star du rock japonais, célébrité internationale, pianiste classique et batteur tonitruant, designer de fringues et réalisateur de contenu vidéo, je laisse couler les rivières de la vie qui le méritent se jeter dans notre fleuve commun. Alors, il était temps !
Le dernier repas
Fin septembre, déjà, j’avais pu réaliser une longue et merveilleuse interview de YOSHIKI par Zoom pour Playboy (que vous pourrez découvrir prochainement !) à la suite de laquelle j’avais pu assister à son concert dans le cadre de sa tournée classique à Londres. Malheureusement, une rencontre n’y avait pas été possible et il avait été convenu que nous tenterions d’y remédier lors de son futur passage à Paris. Miracle ! YOSHIKI voyageait à Paris pour quelques jours autour de la première de son film « YOSHIKI : Under The Sky », occasion pour lui de s’occuper également de ses autres aventures françaises : son champagne, une nouvelle collaboration avec Baccarat et surtout sa marque de vêtements « Maison Yoshiki Paris ». L’opportunité était là ! Alors, son management a tenu parole et j’ai alors eu la chance d’être convié au Mandarin Oriental pour un dîner de groupe autour de YOSHIKI organisé par ses équipes et celles de l’agence de communication Totem Fashion qui supervise les activités mode de la rockstar.
Moment délicieux, convives prestigieux (j’ai pu y rencontrer la merveilleuse chanteuse Ogee (en photo ci-dessous) qui est l’une des premières au monde à porter du « Maison Yoshiki », la délicieuse assistante moldave de YOSHIKI avec qui j’ai passé le plus clair de ma soirée, mais aussi essentiellement des gens importants du monde de la mode, stylistes, rédacteurs, casteurs…) mais surtout instants privilégiés en tête à tête avec le leader de X Japan malgré le monde, la politesse et le cadre peut-être trop mondain et collectif à mon goût rêvé… Je raconterai évidemment cette aventure extraordinaire plus en détails une autre fois.
Interview de YOSHIKI
Le lendemain, nous avions encore rendez-vous pour un nouveau moment d’interview. Cette fois-ci, un petit quart d’heure, et en chair et en os dans sa chambre d’hôtel plutôt que sur Zoom, juste avant la séance ciné du soir. Quelques courtes minutes où remettre mon costume playboyesque pour lui poser des questions sur ces deux actualités du moment. Mon frère Julien pu m’accompagner pour alterner avec moi les prises de parole. Alexia, la jeune et adorable femme française en charge de l’organisation des interviews nous accompagna dans l’ascenseur avant de nous laisser pénétrer dans la chambre remplie mais silencieuse. YOSHIKI nous attendait dans son salon, aussi bien habillé que nous, souriant et sûrement fatigué puisque nous avions choisi de passer les derniers.
Voici cet entretien inédit :
As-tu bien dormi depuis hier soir ?
(sourire silencieux)
Under the sky, c’est le titre du film que tu viens présenter ce soir à Paris (une avant-première a eu lieu le 7 décembre à l’UGC Normandie sur les Champs-Élysées). Pourquoi avoir choisi ce nom ? L’avais-tu en tête avant même le tournage sur tous ces gratte-ciels ?
Au départ, le titre était différent. Under the sky (NDLR : Sous les cieux) signifie que nous faisons partie du monde des vivants, que nous existons et que nous devons profiter de la vie, à la différence des gens qui nous ont quittés et sont au ciel. Je voulais que le film soit un hommage à tous les gens qui sont partis et le titre s’est donc imposé de lui-même au cours du tournage.
Nous avons toutes les souffrances que tu as connu dans ta vie, notamment avec la perte très jeune de ton père, puis les disparitions de Hide et Taiji (anciens guitariste et bassiste de X Japan)… Tu as depuis le tournage de ce film également perdu ta mère, puis Heath (bassiste de X Japan). Est-ce que ça t’a fait prendre conscience de ta propre mortalité et réviser ton rapport avec elle ? Es-tu serein face à l’idée de la mort ?
Tous ces décès, toutes ces tragédies sont autant d’épreuves qui m’ont permis de me rendre compte à quel point la vie était fragile et que je devais en profiter au maximum. Je vivais comme si mes proches ne pouvaient pas mourir et je n’ai pas toujours suffisamment profité de leur présence. J’avais tort…
Penses-tu que le malheur soit nécessaire pour créer ?
J’ai voué toute ma vie à l’art et la beauté. Je ne sais faire que ça.
Je sais que tu portes souvent une croix autour du cou. Il y a presque quelque chose de christique dans ton destin, avec cette idée de devoir souffrir pour aider les autres…
Les épreuves que j’ai traversées m’ont rendu plus altruiste. J’ai tant à donner…
Nicole Scherzinger est présente dans le film. Précédemment, tu avais collaboré avec Daughter, Katie Fitzgerald ou encore Beverly. Qu’est-ce qui te pousse choisir telle chanteuse plutôt qu’une autre ?
Chaque chanson requiert une amplitude vocale différente. Certaines sont très hautes, tout le monde ne peut pas les interpréter. Je demande toujours aux chanteurs si c’est dans leurs cordes mais en général, je me fie à mon instinct. Et puis, tout ça est aussi une question de timing, selon les disponibilités des artistes avec qui je souhaite collaborer.
Tu te souviens du trailer pour le documentaire sur ta vie que tu avais posté sur YouTube il y a quelques années ? Qu’en est-il ?
Il devait sortir avant Under the sky mais finalement c’est ce projet qui m’a accaparé. Le documentaire devrait néanmoins sortir bientôt.
Et les clips de Jade ou Born to be free, voire même le nouvel album de X Japan. Penses-tu pouvoir les sortir un jour ?
Oui… C’est un sujet plus compliqué. À certains moments, on a l’impression que les choses vont se dérouler sans accroc et puis, en fait… Mais tout est toujours possible.
Dans leurs paroles, la plupart des artistes parlent d’amour, de romance, de rupture ou de cœurs brisés. C’est souvent le cas dans tes chansons mais tu n’as jamais été très expansif sur ce sujet. On ne t’a jamais vraiment prêté de relation, par exemple. Est-ce par choix ?
(rire gêné) Oui… Un gros média vient de me proposer de tourner une télé-réalité sur toute cette partie de ma vie, sur ma vie privée en réalité. Je ne sais pas trop, je n’ai pas encore décidé si j’allais me laissais tenter. À vrai dire, ma vie tourne presque exclusivement autour de choses artistiques, ma propre vie est secondaire. Disons qu’elle n’est pas très remplie !
Tu parles beaucoup d’amour dans tes paroles mais également de sexualité. Les pochettes des singles pour Jade, avec la fille qui a un bandeau sur les yeux, ou celle de Born to be free, avec une autre fille menottée, c’est très BDSM. Il y a aussi la pochette de Jealousy où on te voit plutôt dévêtu. Est-ce que le sexe joue un rôle dans ton processus créatif ?
Oui mais dans le respect ! Je crois… C’est une tentative d’exprimer une forme de liberté, pour dire qu’il ne faut pas avoir peur d’être qui on est. Visuellement, c’est ce que j’ai trouvé de mieux pour représenter cette idée. Pour la pochette de Jealousy, le fait d’être ceinturé, retenu par les bras de plusieurs personnes, je voulais montrer que je cherchais à m’échapper du monde.
Tu es Japonais et tu as donc grandi dans une société qui peut être considérée comme conservatrice. Est-ce pour ça qu’au début de ta carrière, tu as beaucoup joué avec les codes masculins et féminins ? Tu t’habillais en princesse, par exemple !
C’est loin maintenant mais quand j’étais jeune, au Japon, j’avais les cheveux peroxydés. Ils étaient non seulement blonds mais la moitié était coiffée en piques. On me regardait bizarrement… Il m’était même impossible d’arrêter un taxi ! Mais j’aimais bien, j’étais différent. À l’inverse, ma famille était vraiment traditionnelle, mes parents tenaient une boutique de kimonos, j’ai grandi dans un environnement très conservateur : j’étudiais la musique classique, etc. Mais j’avais la certitude d’être un artiste. C’est pour ça que j’ai voulu me créer une nouvelle identité, pour montrer au monde qu’on peut être qui on veut, s’habiller comme on veut… On est libre d’exprimer tout ça. Je détesterais l’idée qu’on puisse me ranger dans une catégorie bien précise, quel que soit le domaine. Je me suis toujours battu contre ça, que ce soit dans ma musique, dans la mode… Je n’ai jamais vraiment eu l’impression de faire partie de ce monde, c’est pour ça que j’ai créé le mien.
Penses-tu qu’il t’aurait été plus facile de vivre comme tu l’entendais ailleurs dans le monde ?
En Europe.
C’est vrai qu’on a toujours été surpris que tu habites à Los Angeles depuis si longtemps…
(rires)
Tu n’as jamais pensé à déménager ?
Si.
Vraiment ?
Oui…
Où ça ?
Ici, à Paris ! Avoir mon propre studio d’enregistrement à Los Angeles, c’est génial, donc je serai toujours amené à y vivre pour cette raison mais j’ai vraiment envie de passer plus de temps à Paris.
Tu viens de lancer une nouvelle marque de vêtements. Peux-tu nous faire un résumé de ce qu’est Maison Yoshiki ?
Il y a dix ans, j’ai lancé la marque Yoshikimono, en partie pour continuer la tradition familiale. C’est toujours d’actualité, j’adore m’en occuper, et ça marche vraiment bien mais ce ne sont « que » des kimonos. Même si nous tâchons de créer des modèles un peu plus « edgy », plus rock, nous sommes obligés de respecter le design du kimono et c’est donc difficile d’en sortir. C’est pour ça que j’ai lancé Maison Yoshiki Paris. Nous pouvons créer ce qu’on veut, il n’y a pas de limites. Les vêtements pour femmes me fascinent. À terme, il y aura certainement une ligne pour hommes mais les possibilités sont presque infinies avec la ligne pour femmes. Je travaille sur une collection très chic et sophistiquée mais en même temps scandaleuse. Vous découvrirez ça bientôt.
Entretien réalisé par David et Julien Vesper pour Playboy France le 7/12/2023 à Paris.
Aux Champs-Élysées (pour Under The Sky)
Après une maladroite séance photo improvisée pour immortaliser cette nouvelle rencontre, direction les Champs-Élysées et le cinéma pour tout le monde. À l’entrée, on m’attache autour du poignet un bracelet qui me permettra après la projection de faire partie des chanceux qui auront droit à une petite surprise. Des fans ont visiblement fait le déplacement, la salle est pleine.
Le film, que j’avais pu voir à la maison pour préparer l’entretien, n’est pas véritablement un film mais plutôt un concert filmé sans être un concert et un documentaire sans être un documentaire. C’est un objet hybride, grandiloquent mais dans le bon sens du terme, étudié et mixé jusqu’à la moelle, comme tout ce que produit YOSHIKI. Le postulat est simple : le film a été pensé et tourné pendant et pour la pandémie du COVID, et l’artiste imaginait prouver qu’il pouvait, comme il l’a toujours rêvé, briser les barrières et les frontières par la musique et réunir les âmes, celles de ses fans en particulier à qui il voulait offrir un « modeste » cadeau. Pour cela, il s’est entouré d’artistes amis avec qui il livre des performances travaillées et rejouées devant les caméras le plus souvent sur le toit des buildings de Los Angeles ou bien de Tokyo, offrant des vues du ciel, des nuages et des skylines du monde à couper le souffle.
Sarah Brightman d’abord, chanteuse lyrique bien connue des amateurs de comédie musicale ou des collabortions popisées autour de la vulgaristion du chant d’opéra, qui interprète l’une des compositions classiques les plus récentes et osées de YOSHIKI (celle-ci est d’ailleurs écrite en italien) : Miracle. Le morceau, souvent utilisée par X Japan comme intro à leurs concerts, est un ovni en crescendo qui s’envole en tensions et résolutions et qui demande à son interprète d’atteindre des notes inouïes. Nicole Scherzinger, chanteuse pop superstar solo tirée du groupe Pussycat dolls et également jurée de l’émission « X FACTOR UK » chante une chanson composée par YOSHIKI au début des années 2000 et aussi mythique que confidentielle pour ses fans : I’ll be your love. C’est une comptine triste et réconfortante, belle et tendre, qui pourrait être pour le monde une version pop de ce qu’est l’Hymne à la joie de Beethoven pour l’Europe, une sorte de mélodie commune. Nicole avait déjà chanté cette chanson auprès de YOSHIKI en 2002 et 20 ans plus tard, elle fonctionne toujours autant, sans avoir pris une ride, pas plus Nicole, que YOSHIKI ou la chanson. Scorpions et son chanteur éternel à la voix d’autodidacte génial et à l’accent allemand sont également de la partie pour jouer la mythique Wind of change accompagnés de YOSHIKI qui nous gratifie non seulement d’arrangements orchestraux originaux pour tous les morceaux mais ici d’un solo de piano inédit. Émouvante séquence que de voir ces monstres sacrés réunis par la magie de la technologie quand la réalité dramatique d’une maladie mondiale nous empêchait de nous rejoindre physiquement. Bien d’autres artistes surprennent tout au long du film, Hyde, SixTONES, St. Vincent, Lindsay Sterling, The Chainsmokers avec qui YOSHIKI s’installe à la batterie, mais aussi notamment Jane Zhang ou Sugizo, pour permettre au compositeur japonais de nous jouer ses compositions les plus récentes, comme Hero ou La Venus, mais je pense aussi à Angel, Requiem ou l’incroyable Kiss the sky qui ne figurent pas dans le films et qui sont toutes des splendeurs typiques d’une nouvelle ère dans la musique et la composition de YOSHIKI, comme plus épurée, plus simple, et à la fois plus fluide, angélique, cinématographique, avec tous ces accords de septième qui amènent des refrains à pleurer. La séquence la plus forte du film est peut-être la séquence non-musicale, celle où l’artiste fait la connaissance d’un couple de fans dont la femme est gravement malade. Cette histoire très émouvante, la dévotion de ce mari, la force de la musique de YOSHIKI et sa rencontre avec cet homme éploré, ne peut se raconter sans faire l’effort de voir le film et sera la récompense de ceux qui iront le découvrir. Préparez vos mouchoirs !
Clap de fin (ou pas)
À la fin de la séance était organisé un petit Q&A, traditionnellement avec le public (c’est ce qui était annoncé), mais ici intégralement laissé aux mains (ou pris en otage) d’une une « médiatrice » mignonne mais assez ennuyeuse qui prenait une éternité à traduire l’intégralité des réponses à ses interminables et banales questions… Moment aussi long que frustrant dont nous avons pu être soulagés grâce aux fameux bracelets qui nous avaient été donnés à l’entrée ! Dans le hall avait été installé un piano à queue pour permettre à YOSHIKI de jouer deux bouts de chansons (Forever love et Endless rain) à quelques VIP. Pour une fois que j’en étais… Mon frère à moi avons pu voir celui qu’on considère comme notre troisième frère perdu jouer comme on l’a tant vu jouer, mais cette fois-ci sous nos yeux, presque seulement pour nous.
J’ai même fantasmé l’idée d’aller jouer moi-même sur le piano quand il en a eu marre, pourquoi pas même de ses chansons ! À la place, j’ai profité, et suis allé dire au revoir à cet hôte exceptionnel après ces deux journées non moins exceptionnelles. Je l’ai remercié et lui ai dit que s’il déménageait vraiment pour venir vivre à Paris ou qu’en tout cas il comptait y être plus souvent, je comptais bien réitérer l’expérience, et peut-être à l’avenir sous des auspices moins professionnels et mondains, et plus personnels, amusants et productifs ! Je lui ai aussi dit que j’écrirais un petit article sur son séjour (c’est chose faite), que je préparais un roman dans lequel des pages sont déjà réservées à sa place dans mon existence et à une véritable analyse d’écrivain sur sa musique, et enfin, et je vous le rappelle également chers lecteurs, que cela n’est qu’un amuse-bouche puisque nous avons toujours notre fameuse interview fleuve d’il y a quelques semaines dans nos tiroirs que nous réfléchissons à comment bien utiliser et que nous publierions prochainement.
Je suis rentré chez moi, non avec des étoiles dans les yeux, puisque j’ai une nature bien plus naturelle et mégalo qu’impressionnable qui me permet de me sentir plus fraternel qu’apeuré même face à mes héros, mais avec une étoile dans le cœur, celle du souvenir de ces moments inoubliables.
David Vesper (@david.vesper)