L’exposition « Iris van Herpen: Sculpting the Senses » est l’occasion de plonger dans l’univers de cette créatrice visionnaire qui repousse les limites de la haute-couture.
Dans l’univers de la haute-couture, certaines signatures évoquent des paons qui font la roue ; d’autres, au contraire, rappellent que la mode peut encore incarner l’avant-garde. Iris van Herpen appartient à cette élite rare, qui fait passer la mode dans le monde de l’Art.
L’exposition qui lui est consacrée au MAD de Paris (jusqu’au 28 avril) n’est donc pas une simple rétrospective de ses collections, mais une exploration en profondeur de son univers — ou disons-le, de son œuvre. Car Iris van Herpen n’est pas seulement une créatrice de mode : elle est une poétesse !
La jeune prodige néérlandaise a beaucoup appris de son mentor Alexander McQueen : elle a hérité de son audace et de cette intuition que la mode devait être conçue comme une performance artistique (mais, à notre avis, elle prend surtout la suite de l’extraordinaire Thierry Mugler — qui fut d’ailleurs exposé au même endroit en 2022, et dont le «corps en perpétuel chantier» s’est tragiquement éteint avant la fin de l’exposition). Elle-même ne s’y trompe pas : chaque espace de l’exposition fait dialoguer intelligemment ses créations avec les œuvres d’une quarantaine d’artistes contemporains — les structures nautilo-gothiques de Wim Delvoye, les œuvres cinétiques de Casey Curran, les architextiles de Philip Beesley, etc.
Chacune de ses créations est un poème, un voyage à l’intérieur des éléments, des structures, de la matière. Et comme toute vraie poésie, l’art de van Herpen se situe au confluent du passé — en puisant ses racines dans les Métamorphoses d’Ovide ou dans les créatures de Jérome Bosch — et de l’avenir : elle a recours à des techniques ultra-modernes pour manipuler des matériaux nouveaux et modeler la matière aux formes de son imagination. Elle tisse un lien entre l’alchimie des temps anciens et les nanotechnologies du futur, et rhabille en une seule phrase tous les pseudo-philosophes de notre temps en déclarant très justement : « La technologie fait partie de la nature » !
Enfin une artiste qui embrasse toutes les possibilités techniques de son temps pour produire un peu de beauté! L’impressions 3D de polyamide (et déjà la 4D), la transparence des résines, les textures organiques en silicone, la découpe laser et les soudures ultrasoniques invisibles… Pour parfaire sa boîte à couture, van Herpen sait s’entourer des meilleurs esprits de son temps : architectes, scientifiques, océanographes… Pas question, toutefois, de se débarrasser de l’acte minutieux et compliqué d’utiliser ses mains pour créer, ni de renoncer à travailler des matières plus traditionnelles (le satin, la soie ou même le tulle côtoient les microfibres et le plastique) :
Dans l’atelier de la collection « Meta Morphism » (2022)
Si van Herpen utilise des techniques nouvelles pour la conception, elle puise en revanche ses motifs dans l’éternité de la nature et du vivant — insectes, coraux, cristaux, squelettes, qu’elle nous invite à observer au microscope — et son atelier nous apparaît alors comme un cabinet de curiosités rétro-futuriste, au sein duquel un savant fou tenterait percer les mystères de la matière et du cosmos. Car ce qui frappe le plus, au- delà de de l’inventivité technique, c’est sa capacité à concrétiser des abstractions. Il faut dire qu’elle s’attaque à des thématiques plus ambitieuses les unes que les autres : l’eau, le vent, la lumière… Organisée de l’infiniment petit à l’immensément grand, cette exposition propose de nous pencher sur la substance même de l’univers, qu’elle explore un peu plus à chaque collection.
Il y a toutefois une chose qui ne change jamais (dans ses créations comme dans la Création), c’est le mouvement. Ancienne ballerine, van Herpen sait insuffler le mouvement dans toutes ses pièces, et chaque robe est imprégnée d’une fluidité parfaitement cosmique. Pour en saisir toute la vivacité, il faut voir ses robes sur les podiums : on dirait toute bonnement qu’elles sont vivantes !
Défilé de la collection « Roots of Rebirth » (2021)
Il ne vous reste que quelques jours pour en profiter… En attendant, l’intégralité de ses collections est visible sur son site officiel : faites de beaux rêves.
Dimitri LAURENT