Est-ce que le meilleur film de Rainer Werner Fassbinder ne serait pas une série télévisée, comme c’est le cas pour Pialat ? Berlin Alexanderplatz, adaptation du roman d’Alfred Döblin (encore un médecin devenu écrivain qui s’intéresse aux pauvres…), est un monstre de quinze heures, découpé en treize épisodes et un épilogue, que Fassbinder tourne deux avant avant sa mort, entre 1979 et 1980, et diffusé pour la première fois à la télévision, en Allemagne de l’Ouest, en 1980. Semaine après semaine, le public découvre sur petit écran une version du film aussi sombre que le futur du pays, tant le passage du 16 mm à la télévision altère l’image d’une œuvre qui n’aura presque jamais été montrée au cinéma. Entre télévision littéraire et pièce de théâtre filmée, d’une finesse psychologique inouïe, éclairée au néon rose comme un Sirk en technicolor… Attention : spoilers !
Franz Biberkopf, héros ambivalent, fassbinderien par essence, médiocre et vil mais en proie à des souffrances morales aux proportions bibliques, sort de prison après avoir tué la femme qu’il prostituait. Cette fois-ci, c’est sûr, il devient honnête ! Mais comment faire, entouré de tout ce lumpenprolétariat qui survit aux abords de la place Alexander ? Entre prostituées, homosexuels et voyous, dans les dernières lueurs de la République de Weimar, Franz enchaîne tous les petits boulots du monde. Il fait du porte-à-porte, tente de vendre des lacets de chaussures, puis enfile à contrecœur un brassard nazi pour distribuer des torchons d’extrême-droite. Le soir, après avoir bu des shnaps au bar, il couche avec les femmes de son meilleur ami Reinhold – qui lui refourgue ses conquêtes, incapable de s’en débarrasser autrement –, et le suit dans une vie de malfrat qui va lui coûter un bras, quand il refuse au dernier moment de participer à un cambriolage… Désormais à moitié manchot, Franz fait la connaissance de Mieze, qu’il aime autant qu’il la bat. Elle se prostitue pour lui montrer toute la dévotion qui l’anime. Il la bat quand même, persuadé qu’elle le trompe. Incapable de tenir son serment d’honnêteté, Franz accepte finalement de participer à une série de vols avec Reinhold qui, jaloux du couple qu’il forme avec Mieze, décide de la séduire dans l’unique but de la tuer. Franz l’apprend dans le journal. Détruit, il se console avec l’idée que Mieze, au moins, ne l’a pas quitté… Dans l’épilogue aux accents surréalistes, Franz et Mieze sont menés à l’abattoir, comme des animaux, broyés par l’idée sotte qu’ils pouvaient faire confiance aux hommes. Quarante-deux ans après la mort du réalisateur allemand, Playboy vous encourage à découvrir l’intégralité de ce chef-d’œuvre méconnu, disponible sur YouTube. De rien !