« Alain Delon aimait les animaux, en particulier son chien Loubo, et les balades en forêt. Après un CAP charcuterie, il s’engage dans l’armée et part au bout du monde, en Indochine… » C’est peut-être par ces mots, dans une réalité parallèle, au cœur d’une petite église de province, que les obsèques d’un inconnu du nom d’Alain Delon auraient débutées, s’il n’avait pas été promis à un destin extraordinaire. Le plus bel homme du monde aura réussi la prouesse d’en être également le meilleur acteur. Qu’ont pu être les ultimes visions d’une telle anomalie, de ce phénomène unique, après 88 ans d’une vie qui échappe à toutes les règles, à toute logique ? Qu’a-t-il aperçu, Alain Delon, au dernier moment, quand le soleil déclinait une dernière fois derrière les arbres de Douchy et que les étoiles jouaient des coudes pour être aux premières loges de l’ascension de la plus brillante des stars ? S’est-il revu en trench et chapeau, traqué dans le métro parisien ; assis à une table du Restoroute de Bel-Air, en pleine tempête de neige ; ou bien tentait-il de se rappeler quel poème de Goethe ou de Pétrarque il tenait contre son cœur, sur le port de Rimini, dans son grand manteau beige ? Se rappelait-il confusément de son exécution par guillotine, sous les yeux de Gabin ? Où se situaient alors les frontières, dans l’intimité de celui pour qui réalité et fiction se mélangeaient à l’infini ? Peut-être repensait-il à des moments de vie que la pellicule n’eut pas fixée : enfant, dans la cour de la prison de Fresnes, bien avant de devenir prisonnier du personnage d’Alain Delon ; au parc Monceau, avec la main d’Anthony dans la sienne ; à la maison, avenue de Messine, allongé sur la moquette avec Romy ; dans une chambre d’hôpital, au chevet de Mimi… Il n’est pas parti seul, bien sûr. Ils sont nombreux, les fantômes qui ont dû lui emboîter le pas, au moment du transfert, du passage de l’autre côté de la vie : Franz Lobheimer, Tom Ripley, Rocco Parondi, Piero, Francis Verlot, Tancrède Falconeri, Thomas Vlassenroot, Jef Costello, Roger Sartet, Roch Siffredi, Corey, Gauche, Jean Lavigne, Édouard Coleman, Daniele Dominici, Gino Strabliggi, Robert Klein, Zorro… Ça en fait, des doubles inoubliables.

J. V.