Hawaï est-il crédible vu de Rennes ? J’ai envie de vous dire oui, car le groupe Hawaiian Pistoleros arrive avec un album entre country et culture américaine. Rencontre avec Vassili, son fondateur. Et pour finir je vous fais une chronique dithyrambique. Chère lapine, cher lapin, bonne lecture.
Votre musique semble être la bande originale d’un film. Avez-vous travaillé l’album dans ce sens-là ?
Ce n’est pas délibéré, dans la mesure où ce disque s’est construit un peu comme un patchwork, sur une durée d’élaboration assez longue (quasiment 3 ans) mais si ça peut produire cet effet là à l’écoute, on en est ravi ! J’en profite d’ailleurs pour saluer au passage le travail d' »étalonnage » -pour reprendre le vocabulaire cinématographique- de Stew Crookes, l’ingénieur du son qui a mixé l’album, et qui a beaucoup contribué à la cohérence esthétique des dix chansons qui composent ce disque.
Pour autant, les références cinématographiques ne sont pas absentes de l’univers du groupe : on se réfère souvent entre nous à Lynch, à Altman, aux frères Coen ou à Jarmush entre autres, quand on veut décrire certaines atmosphères que l’on cherche à restituer dans notre musique, donc il y a sans doute du sens à ce qu’on retrouve un peu de cinéma à l’écoute de « Something Strange »…
Y a-t-il un récit à l’album, une histoire sous-jacente ?
Là non plus, ce n’était pas un calcul de départ. Mais au bout de quelques temps, quand il a fallu sélectionner une dizaine de chansons parmi celles que l’on avait mis en chantier pour ce disque, Vincent Dupas (le chanteur des Hawaiian Pistoleros) a pensé à sélectionner celles qui permettraient de suivre une sorte de fil rouge : il est notamment beaucoup question d’une certaine Suzie dans le disque… On crois également un mystérieux chien à trois pattes… Chaque chanson a du sens pour elle même et raconte sa propre histoire bien sûr, mais en plaçant les chansons dans un certain ordre, on doit pouvoir reconstituer une partie du puzzle.
Tu es le fondateur du groupe. Pourquoi as-tu fondé ce groupe et quelle était ton envie ?
Au départ j’ai monté ce projet sans trop savoir où ça allait nous mener, avant tout pour satisfaire un besoin personnel : celui de pouvoir exploiter mes instruments préférés (lap steel guitar et pedal steel guitar) dans des univers moins contraints que les groupes dans lesquels j’évoluais : Souvent la steel-guitar est cantonnée à un rôle un peu « décoratif » dans les groupes français qui exploitent l’instrument (sinon c’est vite considéré comme « trop country » etc), ce qui peut se défendre parce que c’est vrai que ça apporte une couleur très marquée, mais pour moi c’était un peu frustrant à la longue. D’autre part je m’intéressais depuis longtemps à des musiques de genre (hula music / western swing) quasiment pas représentées en France, et j’avais très envie de pouvoir les partager avec d’autres musiciens, et bien sûr avec un public.
Quelle est l’évolution de votre musique dans le temps ? Ça va dans le sens qui te plaît ?
La première période du groupe a été une longue phase d’apprentissage : on a travaillé plein de morceaux emblématiques d’un répertoire américain entre les années 30 et les années 50 marqué par la country, le western swing, la musique hawaïenne et les débuts du Rock’n’roll pour s’imprégner ensemble des codes des genres musicaux auxquels on se confrontait, et le fait de travailler ça en groupe a construit une vraie complicité musicale entre nous. Je pense que l’album précédent « Me And My Shadow » était l’aboutissement de cette démarche.
L’envie de produire une musique plus personnelle, en composant tout de A à Z est venue ensuite, et de manière très spontanée : ça paraissait la suite logique de l’évolution du groupe.
Ce n’était pas gagné d’avance pour autant, car le travail d’arrangement de reprises et la composition, ce sont vraiment des choses très différentes, et il a fallu quelques tâtonnements pour qu’on trouve la bonne méthode. Mais je suis personnellement ravi du résultat, tant en ce qui concerne les 9 compositions qui figurent sur le disque, que dans la manière dont l’identité du groupe s’est précisée et renforcée grâce à ce challenge.
Avez-vous une idée de qui vous écoute ? C’est un public vaste ou c’est une niche ?
Avec le temps (le groupe existe depuis 12 ans), on commence à se faire une idée, grâce aux retours que l’on nous fait à l’écoute des albums, aux gens qu’on rencontre lors des concerts, aux lieux qui nous programment (ou pas…). Je ne dirais pas « vaste » (ça le nombre d’albums vendus incite quand même à la modestie, ah ah ah), mais assez divers par contre, tant en terme de générations que de références esthétiques.
La musique que l’on propose, même si elle est assez référencée, est très accessible, et peut toucher aussi bien des gens qui partagent certains éléments de la culture musicale du groupe -et là effectivement ça peut être une niche quelquefois- qu’un public amateur de musique actuelle au sens large. D’autant plus avec ce dernier album qui propose des compositions du groupe en sortant assez librement des codes des styles qui nous inspirent. On espère d’ailleurs que ce disque nous permette de trouver encore plus d’auditeurs…
En 2017, GUÐNI TH. JÓHANNESSON, le président islandais, voulait interdire la pizza hawaïenne. Que pensez-vous de sa prise de position ? Vous êtes-vous senti rejeté ?
ah ah ah
C’est radical, mais d’un point de vue strictement culinaire, j’aurais plutôt tendance à souscrire à cette proposition !
Et puis quelques tranches d’ananas sur une pizza (rien que de l’évoquer, ça me coupe plutôt l’appétit moi…), ce n’est probablement pas la meilleure porte d’entrée vers la culture hawaïenne qui mérite mieux que ça. À ce sujet, mieux vaut laisser tomber la pizza et dévorer le bouquin de John W. Troutman « Kika Kila, how the hawaiian steel guitar changed the sound of modern music » : pas une ligne sur la pizza, par contre on y apprend une foule de choses passionnantes sur la culture hawaïenne et son foisonnant héritage musical souvent mal connu !
La chronique :
Avec un tel nom, les Hawaiian Pistoleros se devaient d’être bons, car en effet, c’était tout ou rien. On entre dans cet album sans peine, car chaque chanson évoque un souvenir. Pour ma part, ce fut la tronche de George Clooney dans « Oh Brother » des frères Cohen qui m’est apparue lorsque j’ai écouté le titre « Pukalani » ,pourtant rien à voir mais nos cortex sont souvent joueurs. Ce titre m’a donné envie de découvrir l’ensemble de l’album. Tout l’opus évoque des moments de notre culture, ces instants où l’on avait tous envie d’être américains, car tout semblait léger, une sorte de donuts de Proust, en somme.
Le monde des Hawaiian Pistoleros se déploie-t-il en technicolor ? Pas si sûr. Certes, on ressent la culture musicale ancrée entre les années 30 et 50, mais la production est limpide et actuelle, tout en conservant un son chaleureux. Il y a une lecture subtile et l’on sent que le diable Tom Waits n’est pas bien loin malgré tout. Tout n’est donc pas lisse, mais plutôt mélancolique sans être morne. Les orchestrations sont parfaites, sans aucune longueur ni faute de goût. On entend du pedal steel et d’autres instruments à cordes, que l’on imagine avoir été chinés dans un pawn shop. Là encore, tout ceci ajoute à l’authenticité du projet.
On se plaît à baigner dans leur musique, qui évite habilement le kitsch pour ne conserver que le sublime de l’évocation des musiques d’antan.
Ici, rien n’est pompeux ni opportuniste. Pas de regard passéiste empreint de regrets et d’aigreur. Non, nos compères nous convient simplement au bonheur, avec un sourire léger bien plus fraternel que commercial. La voix du chanteur apporte un plus évident, plaçant le groupe dans une semi-modernité. Son timbre évoque un mélange entre Wayne Coyne des Flaming Lips, avec des intonations vocales légèrement teintées de folie douce, et sans doute encore plus la voix de Bonnie Prince Billy, ajoutez y une pincée de King et on y est presque.
C’est un album qu’on peut écouter à foison sans se lasser, car il sait invoquer le bonheur à chaque écoute. Une véritable perle.
Hodbert Florian