Trente ans déjà. Au lieu de poursuivre dans la voie des morceaux glam-rock à la Bowie de leurs débuts, Suede se concentre sur ses tendances plus sombres pour donner naissance à l’ambitieux Dog Man Star, deuxième album du groupe et meilleur album de britpop de l’histoire, trop intelligent et subtil pour permettre de jouer à Wembley mais d’une profondeur que tous les rictus moqueurs de Noel Gallagher ne pourront jamais atteindre. Cette « prétention », Suede est le seul groupe pop à pouvoir l’assumer, Brett Anderson étant peut-être un petit peu moins bas du front que le rockeur traditionnel. Tout s’effondrerait bien vite sous le poids des couches de cordes et de pistes de guitares empilées comme les matelas de la princesse au petit pois si le talent de composition de Bernard Butler – guitariste génial, l’un des rares à avoir compris comment utiliser la guitare électrique –, ne parvenait à transformer des suites d’accords toutes simples (The Asphalt World) en mini-symphonies pop, sans jamais tomber dans la lourdeur et la facilité qui se fait passer pour du talent des faux « orfèvres » instrumentaux que sont les très mauvais Explosions in the sky et autres Sigur Ros, en parvenant à garder tout l’éclat naïf, non pas d’un petit pois, gros comme le cerveau de Damian Albarn, mais de véritables perles précieuses, dont l’éclat n’est jamais plus brillant que sur le refrain de Still Life et ses enchevêtrement de cordes et de cuivres à pleurer de brilliance, au sens anglais cette fois, presque simpliste. Tout ça dans un pays gris comme la suie et célèbre pour ses mines de charbon. Saviez-vous que Butler était convaincu qu’il n’atteindrait plus jamais la beauté de The Next Life, morceau qui clôture le premier album, car il savait désormais trop ce qu’il faisait quand il composait au piano ? Et pourtant… Mais le véritable talent du groupe, c’est Brett, bien sûr. Mélodiste de génie, obnubilé par la désolation des banlieues anglaises étouffantes, avec leurs briques et leurs HLM sordides. Vous verrez tout ça dans la saison 1 de Misfits si vous avez n’êtes pas très Ken Loach. Dog Man Star arrive donc en octobre 94 et vient parachever la synthèse musicale que le groupe a déjà opéré et sorti en février, sous la forme de l’EP Stay Together. C’est en trois chansons que Butler et Anderson résument tout ce qui fait que Suede est le seul véritable diamant du Royaume-Uni : Stay Together, My Dark Star et évidemment The Living Dead (Please, please, please, let me get what I want des Smiths en mieux), c’est l’apogée mélancolique, tragique et romantique de l’œuvre d’un groupe souvent incompris et sous-estimé. Il n’est pas trop tard pour (re)découvrir ce chef-d’œuvre puisqu’une sorte de boxset avec trois CD’s et deux vinyles est disponible depuis le 18 octobre.

J. V.