Depuis sa Nouvelle-Zélande, Finn Andrews met les voiles vers la France, et Paris en particulier, tous les dix ans. Gibson Dove en bandoulière, il faisait escale en 2004 au Nouveau Casino ; en 2013, il émergeait d’entre les lourds rideaux en velours du Divan du Monde. Le revoici, en 2025, au Point Éphémère. En bordure de Seine, nous rencontrons le leader des Veils, avec son éternel chapeau sur la tête, qui débute une tournée européenne sur laquelle il présentera son nouvel album : Asphodels.

Comment s’est passé le premier concert, hier soir, à Anvers ? Tu es satisfait de ce début de tournée ?

Oui, oui. Hier, j’ai pu tenir l’album entre mes mains pour la première fois. Je n’avais pas encore vu l’objet concret après des années à ne travailler qu’avec de l’air et des idées. C’était agréable d’avoir enfin quelque chose de tangible entre les mains.

Quelles étaient les motivations derrière le fait de produire et de jouer la plupart des instruments sur ce nouvel album ? Était-ce par nécessité ou simplement une nouvelle voie créative que tu voulais explorer ?

Il y avait quand même pas mal d’autres personnes, mais oui, j’ai joué de la basse, de la batterie, ce que je n’avais jamais fait auparavant. Je pense que c’était vraiment une sorte d’antidote à l’album précédent, qu’on avait enregistré sur environ quatre ans, de manière intermittente. Là, je voulais simplement faire tout ce qui allait permettre… On voulait créer quelque chose qui sonne vraiment ‘live’, comme si c’était dans la pièce, et le faire très rapidement, d’une manière très traditionnelle, comme tous mes albums préférés des années 50 et 60. Tout est joué en direct, directement sur bande.

C’est en Nouvelle-Zélande que vous avez enregistré ?

En Nouvelle-Zélande, oui. Ils ont un studio magnifique là-bas qui nous a permis de faire ça très facilement. Il y a beaucoup d’équipements anciens vraiment splendides. L’enregistrement n’a pris que trois jours donc c’était complètement à l’opposé de la façon dont on a fait le dernier album. Et oui, j’ai vraiment apprécié ce processus même si c’est assez « brutal ». On enregistrait chaque chanson deux fois, et il fallait ensuite décider quelle prise garder, puis enregistrer par-dessus. Je pense que je prends de meilleures décisions quand je suis un peu stressé et sous ce genre de pression.

Avant d’en arriver à l’enregistrement à proprement parler, comment ça se passe lorsque tu composes ?

En général, c’est… en fait, ça commence souvent par une petite phrase, un sentiment. Puis je me mets au piano, et ça devient le tremplin pour le reste de la chanson. C’est généralement comme ça que ça se passe.

Les arrangements m’ont semblé un peu plus dépouillés que par le passé. C’était une décision consciente de tout réduire à l’essentiel ? Penses-tu que c’est une évolution artistique naturelle, essayer de réduire la musique à sa forme la plus simple ?

Oui, je pense que chaque album fait partie de ce processus de « raffinement » de ce que tu fais. Rien de tout ça n’est vraiment conscient au moment où ça se fait. Souvent, je ne sens pas, pendant que je le fais, que j’ai la moindre idée consciente de ce que je suis en train de faire. Je suis juste un peu comme un vieux chien fou qui suit une odeur… C’est agréable quand tu as l’album final entre les mains. Tu te dis, ah, c’est quand même cohérent, mais en même temps, j’ai l’impression d’être déjà loin de toutes ces chansons, ce qui est étrange. On l’a enregistré à la fin de 2023, on l’a donné au label juste après, mais ensuite ils ont mis un an avant de le sortir.

Tu aimes le studio, les périodes d’enregistrement ou est-ce juste un passage obligatoire pour pouvoir te produire sur scène ? Ou alors est-ce que le live est plutôt une corvée pour toi ?

J’adore tourner. J’adore chaque étape en fait. J’aime vraiment tout. J’aime l’enregistrement et je me suis un peu mis en colère contre moi-même d’avoir fait ça si vite parce que ça n’a duré que trois jours et puis c’était fini. Mais chacun de ces moments est intéressant à sa manière. Je pense que, évidemment, l’écriture est la partie la plus personnelle. C’est tout un processus d’expansion, je suppose. Tu commences avec des chansons qui sont tellement proches de toi, c’est très intime, et puis ça s’étend en studio avec le groupe, et ensuite ça s’étend sur la route et avec le public, et c’est… j’ai entendu quelqu’un en parler de cette manière : c’est très saisonnier. Tu sèmes des graines, puis, tu sais, vient le temps de la récolte. Je pense que chacun de ces moments mène très bien à la saison suivante. Tu ne pourrais pas faire sans l’un d’entre eux, tu sais, sans aucune de ces saisons.

Tu as commencé à jouer du piano récemment ou tu jouais déjà quand tu étais jeune ?

J’ai appris très tard. Mon père m’a appris quelques accords quand j’avais probablement autour de 19 ans. Il y a quelques chansons sur le premier album où je joue du piano, mais c’est, tu sais, un truc avec deux accords. Mais ces dernières années, j’ai retrouvé mon père, en fait, quand j’étais à Londres, et un de ses cousins. Il ne me reste plus beaucoup de famille en Angleterre, mais on a commencé cette conversation sur le nombre de pianistes dans notre famille et je n’en avais aucune idée. Tous les deux, la mère de mon père, le père de ma mère. Je pense que c’est pour ça que j’étais réticent pendant un moment, ça me paraissait comme un truc un peu lourd et sérieux de famille. Et je savais que je n’étais pas du tout aussi bon qu’eux. Donc, ça m’a pris un peu de temps pour me sentir confiant. Maintenant, j’ai l’impression de me connecter à quelque chose, une lignée profonde. Surtout avec ce nouvel album.

Quel rôle joue la musique dans la vie d’un homme de 40 ans maintenant comparé à ce jeune homme de 19 ans ?

Les tournées, ça me semble très différent. J’ai une fille de deux ans maintenant, donc être loin… On a tourné comme ça pendant les 15 premières années, tout le temps. Et je ne peux plus faire ça maintenant. Et je suis content de ne plus vivre comme ça. Parce que je pense que ça a commencé à avoir un impact. Mais je pense que ce qui me fait encore me sentir bien, c’est la même chose. Ce qui m’excite encore à propos de tout ça, c’est la même chose que ce qui m’excitait à l’époque. Je suis beaucoup moins tourmenté maintenant que je ne l’étais quand j’étais jeune. J’étais un peu ce genre de jeune homme prétentieux et torturé. Je pense que j’ai appris à me détendre un peu, et à ne pas me flageller autant pour tout. Je pense que quand j’ai commencé, j’étais tellement jeune, je me sentais tellement imposteur.

Quand j’ai découvert ton groupe, je vivais aussi à Londres, à l’époque. Beaucoup de mes expériences de jeunesse sont en quelque sorte liées à ta musique, donc ça me rappelle ma propre mortalité de te demander de réfléchir sur le temps qui passe. Je sais que quand je réécoute Lavinia, ça fonctionne un peu comme ce que Marcel Proust décrit dans À la recherche du temps perdu, où un petit artefact du passé te ramène pas seulement à un endroit mais quelque part qui est vraiment hors du temps, où tout semble idéal et parfait pendant la durée de la chanson, et c’est très réconfortant.

Oh mon dieu. Je veux dire, j’y ai réfléchi beaucoup récemment, et c’est un peu pareil pour moi avec David Lynch. Ça a beaucoup occupé mon esprit récemment et c’était une période vraiment étrange et évidemment surréaliste. Mais aussi vraiment vivifiante et magique et… Ouais, on se sentait vraiment honorés d’avoir fait partie de cet univers pendant un moment, tu sais ?

En parlant de David Lynch, parce que je sais qu’il était très catégorique sur le fait de ne pas avoir à s’expliquer ou à expliquer le sens de ses films. Comment tu te positionnes à ce sujet ? Quand les gens te demandent, par exemple, « Que veux-tu dire par concrete after rain ? » Est-ce que tu penses qu’il est important de donner ton avis ou est-ce que les gens devraient simplement se contenter d’interpréter les choses à leur manière ?

Je suis content de parler de certaines choses, mais je pense que je dois toujours ajouter la mise en garde que je me sens souvent être la dernière personne à qui on devrait demander, parce que ces chansons signifient des choses tellement différentes pour moi et je n’ai jamais eu l’occasion de les entendre pour la première fois. Donc je ne sais pas, j’ai l’impression que mon idée de ces chansons est, je suis la seule personne au monde à avoir l’idée que j’ai d’elles, donc ça me semble un peu hors de propos. Parce que les autres ont souvent des relations bien plus intéressantes avec elles. Donc je peux comprendre, certainement, la résistance de David à en parler, c’est parce que les gens, il laisse tellement de place à cela. Et je pense qu’on fait partie d’une culture qui a tendance à trop interpréter. Mais je suis content d’en parler. Je dirais juste de ne pas trop me prendre au sérieux.

Comment ça s’est passé, ta participation à Twin Peaks The Return ?

Eh bien, c’est parce qu’on a enregistré une chanson chez lui. On a enregistré une chanson qui s’appelle In the Nightfall chez lui, et ça, c’était peut-être un an avant. Puis Dean, qui est son producteur, ingénieur, il nous a appelés peut-être un an après, en nous demandant, de la part de David, si on accepterait d’y participer.

L’ambiance est aussi étrange sur le plateau que ce qu’on voit dans la série ?

Oh non, c’était tellement amusant, et tout le monde était tellement gentil et drôle, et je suppose que ce groupe autour de lui, avec qui il travaille depuis si longtemps, tu pouvais vraiment voir qu’ils formaient une vraie famille. Il y a David, tu sais, qui passe son temps à fumer sur le plateau, et c’était super, et tous les autres groupes étaient là, dont Nine Inch Nails. Je pense qu’il y a eu quelques jours où pas mal d’acteurs sont venus pour regarder les groupes jouer. C’était super, tellement drôle et beau. C’était vraiment beau… Et en même temps, on traversait une période assez difficile. C’était vers la fin de l’enregistrement de l’album, tout l’argent était parti, et on se sentait assez déprimés, à douter de notre valeur, je pense, dans le monde. Donc, les mots d’encouragement de David sont vraiment arrivés au bon moment. Ça a été une expérience très, ouais, très significative.

Ta musique a souvent été utilisée dans des films, d’ailleurs.

Quand ils ont utilisé Nux Vomica dans Il Divo, ce film de Paolo Sorrentino, c’était l’une de mes utilisations préférées dans un film. C’est vraiment un plaisir inattendu d’être dans ce groupe. Je n’avais jamais imaginé que ma musique finirait dans les films d’autres personnes, surtout des gens comme ça. Donc, ça a été une super surprise.

Est-ce que ça t’intéresserait de composer la bande originale d’un film entier ?

On m’a déjà demandé, mais il ne s’est jamais vraiment présenté le bon projet. Et ça a très bien fonctionné pour moi, ce processus avec Sorrentino ou David Lynch ou ces gens. J’avais déjà écrit la musique. Et ensuite, ils l’ont utilisée comme ils le voulaient. Et j’adore ça. Je pense que je pourrais avoir du mal à accepter la direction ou, tu sais, pendant tout un film d’une heure et demie. Et je pense qu’on peut te traiter assez mal dans ce milieu. Tu sais, tu es juste un rouage dans la machine. Donc, je ne sais pas trop. Si c’était le bon projet, mais je suis content de la manière dont les choses se passent, vraiment.

Est-ce que ça la musique, c’est aussi l’envie de laisser une marque, un certain héritage ou tu n pensais pas du tout à ça quand tu as commencé ? Et est-ce que c’est le cas maintenant ?

Quand j’ai commencé le groupe ? Non, je ne… Je ne pense toujours pas vraiment à ça… Je pense que le fait d’avoir un enfant m’a fait commencer à réfléchir, pas à l’héritage, mais plus à… J’espère que quand ma fille sera plus grande, elle trouvera mes chansons cool. Je n’y avais pas vraiment pensé avant. Je pensais juste à ce que moi j’en pensais. Mais maintenant, j’ai un peu l’impression qu’elle m’a donné envie de m’améliorer, d’être un meilleur écrivain. Mais… je ne pense pas vraiment à l’héritage. Je pense plus au développement et au raffinement de cette sorte de petit monde, ouais, qu’on a créé, ouais. L’art est une chose, et puis ouais, cet aquarium des Veils qu’on entretient depuis si longtemps maintenant, c’est un peu ça, tu peux faire de petites additions et soustractions, et des changements qui font que l’aquarium change, ouais, change de couleur au fil des ans. J’adore ça, et je pense que c’est quelque chose qui, je suppose, ne vient qu’avec le temps. Au début, évidemment, tu n’as même… Bon, je vais laisser tomber la métaphore de l’aquarium. Tu n’as aucune idée de ce que tu fais. Mais maintenant, ouais, tu sais, quand tu en es à ton septième album, c’est un peu comme… ah, je respecte ce petit monde qu’on a créé. C’est sympa de continuer à jouer avec.

Es-tu préoccupé par la position que les Veils occupent dans l’espace musical ? Parce qu’aujourd’hui, on semble privilégier le contenu viral et vous, vous faites votre propre petit truc. Est-ce que ça t’inquiète ? As-tu jamais ressenti la pression de, je ne sais pas, faire de la musique pour le grand public ou autre ? Ou est-ce que tu as toujours été concentré sur le fait de faire ce que tu voulais faire, ce que tu devrais faire ?

Non. Je veux dire, ouais. Je me demande si cela a changé, et comme je le ressens, pendant toute ma vie d’adulte, tu as été confronté à une culture qui, en général, préférerait que tu fasses quelque chose de joli, mais jetable, qui rapporte un tas d’argent et qui ensuite disparaisse. Ça, je pense, dès le moment où on a signé. Notre label à l’époque était adorable et n’était pas comme ça, mais il y avait certainement d’autres gens. Tu es toujours en train de lutter contre tout, essayant de ne pas trop marchandiser ce que tu fais. Et, ouais. Donc je ne sais pas. Je ressens que ma relation avec ça est la même que ce qu’elle a toujours été. Tu penses pas trop à tout ça, tu fais ce que tu veux et tu continues de créer ton petit monde, et tu essaies d’oublier tout le reste.