Personne sur terre ne peut aimer les fleurs autant que lui. Lui, c’est Fantin ! Henri Fantin-Latour ! Eh oui, pourquoi pas un peu de peinture sur Playboy France ? Et quelles peintures ! Peut-être qu’en plus de vous émerveiller et de vous cultiver, messieurs, vous penserez à en offrir à la femme que vous aimez ? Fantin-Latour a fermé le rideau et jeté toutes les fleurs à l’eau ! C’est foutu, remballez, les bouquets c’est lui qui a trouvé comment les sublimer ! Aucune fausse grandeur ou fausse matière, pas de raccourci, il n’y a pas un pétale dont le secret a résisté à la peinture de Fantin-Latour. Et pourtant, les fleurs, quelle tarte à la crème !… Henri, quand il ne dessine pas le visage soi-disant angélique de Rimbaud, s’obstine donc sur les natures mortes et les bouquets de fleurs. Elles ne sont pas romantiques et encore moins « bucoliques », bien sûr… Elles sont graves, comme si elles étaient toutes les fleurs fraiches d’un enterrement dont on ne connaît pas le défunt. Et si c’était la réalité qui était tuée par le talent du peintre ? Il vient à bout de toutes les surfaces, de toutes les racines, les couleurs et les ondulations des formes compactes. Il fait disparaître tout signe de lutte comme le font les virtuoses. Il semble ne pas copier, comme s’il imaginait les bouquets plutôt qu’il ne les représentait – ce qui est sans doute faux. Fantin-Latour approche la beauté de si près qu’on a toujours peiné à lui reconnaître le talent infini qui était le sien. C’est toujours la même histoire : il exprimait si bien ce qu’il veut dire que personne ne l’entendait plus. Il est trop juste pour être compris ! Petit à petit, cependant, il s’est fait attraper par quelques vieux beaux de Montmartre qui y trouvent, hélas, un intérêt « décoratif », mais ils n’ont pas compris, parce qu’ils ne regardent pas et qu’ils n’ont jamais pu s’émouvoir devant quoi que ce soit, pas plus un bouquet qu’une peinture. Il faut rendre à Fantin ce qui lui appartient, c’est-à-dire les clés de la maison où, autour de la table du salon, sont assis Monet, Picasso, Redon et les autres. Voyez donc ces fonds marrons, rosés, passés… Ces compositions enlevées et pourtant pleines, plates et rondes… Fantin-Latour n’a pas besoin de peindre des fleurs fanées pour nous montrer ce qu’elles symbolisent, c’est sa peinture elle-même qui exprime le temps, et la mélancolie de la fleur, la générosité de la fleur, sa fragilité et son destin éphémère, ne se ressentent pas dans l’objet de la peinture, c’est-à-dire les fleurs, mais dans la peinture elle-même. Ses tableaux sont des plans de cinéma choyés par un directeur de la photographie génial autant qu’une page de littérature à faire pâlir un Proust en forme – qui ne s’y trompait pas et adorait Henri dont il parle à la fin de la Recherche. Un bouquet de Fantin-Latour c’est tout un siècle, caché dans un grenier, qu’on trouve comme un trésor, qu’on parcourt en rêves et qu’on se rend compte avoir toujours connu. Il avait prédit aussi tout d’une esthétique qui fait des ravages de nos jours, cet espèce de drap en lin doucereux et mystérieux dont les jeunes femmes s’enveloppent pour écouter Lana Del Rey, allongées dans leurs chambres à pleurer une vie qu’elles en ont marre de fantasmer. Qu’attendent-elles pour le prendre, lui, dans leurs bras, et lui redonner enfin toute sa place ?

D. V.