On ne dirait pas comme ça mais avec sa tête de touriste allemand joufflu, le gros Juergen Teller est à l’avant-garde de la photographie depuis trente ans. La contradiction, c’est son grand truc. Depuis une dizaine d’années, il a trouvé un gimmick rigolo : faire poser les célébrités, sans fard, sans lumière de studio, dans des situations banales, comme s’il s’agissait de gens tout à fait normaux. La série qu’il a réalisé pour W Magazine est rapidement devenue virale sur X. On reproche plusieurs choses au photographe : c’est un gros feignant qui n’a qu’un tour dans son sac, « je pourrais faire la même chose avec mon iPhone », c’est un manque de respect à la photographie… Seul problème, ce genre de shooting est précisément irréalisable par le premier twitto venu car il ne connaît pas personnellement Natalie Portman… Difficile dans ces conditions de la faire poser dans une boutique de souvenirs. Pour le reste, c’est en effet tout le problème de cette hégémonie culturelle instagrammesque qui a tué le concept même de contre-culture. Aussi cool, inclusif et tolérant tente-il de paraître, le monde post-Instagram n’est rien d’autre qu’une usine à clones et Juergen s’inspire donc des clichés que peuvent prendre les instagrammeurs pour mieux les subvertir.
Initiée par Demna Gvasalia (@demnagram), le styliste à la tête de Balenciaga, cette forme de rébellion contre la mode et l’art, en les retournant sur eux-mêmes, avec pour ambition de combattre l’horrible mandarinat d’une vieille garde dépassée, était en fait une idée de génie. Chez Balenciaga, commercialiser des vêtements « moches » permettait de porter en étendard toute la haine de soi qui consumait la jeunesse du monde dit civilisé. Les gens se détestaient à un point tellement ahurissant qu’ils dépensaient des fortunes pour exhiber ce qu’ils ressentaient à l’intérieur. Ils paradaient dans du laid. Leur apparence était l’exacte représentation de leur psyché. Demna leur jouait-il un mauvais tour ? Peut-être pas, car en y regardant de plus près, tout ça est loin d’être hideux. Juergen est dans le même délire. Dans son œuvre, la beauté et le glamour côtoient la misère et la laideur, comme dans la vie.
Réservez vos places pour l’exposition i need to live de Juergen Teller au Grand Palais Éphémère.