Interview Belle Scar

Propos recueillis par Bruce TRINGALE

On le sait : les meilleurs albums sont ceux que personne n’attendait ou n’osait plus espérer. ATOMS de Belle Scar fait partie de ceux-là : une pop aussi torturée que classieuse qui viendra enlacer les orphelins de Portishead, Jessica Harper ou Grace Jones, le tout habillé par les belles orchestrations de Marc O, certainement les plus inspirées depuis celles de Nigel Godrich pour Roger Waters.
C’est pour PLAYBOY que la belle choisit de dévoiler ses cicatrices.

Pour acheter l’album : https://lnk.to/Qh4NcK
Le Bandcamp

Photo by Ben Wilkin

Bonjour, Geeta. Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Je suis une artiste, musicienne, chanteuse, auteure et compositrice de Montréal mais j’habite à Londres depuis plusieurs années maintenant. Je passe mon temps à écrire de la musique, des textes ainsi qu’un monde visuel qui accompagne ma vision sonore. J’aime créer un univers riche en textures et en émotions viscérales avec un peu de surréalisme pour faire rêver mais aussi réfléchir et de faire vivre une expérience unique au spectateur. Je suis fascinée par la nature, l’univers, le temps, la neuroscience ainsi que l’étrange merveilleuse et complexe cycle de la vie.

Pourquoi ce surnom de Belle Scar ?

Belle Scar pour moi représente la beauté à travers les moments difficiles qui nous marquent, qui nous traumatisent ou nous font grandir. Ça symbolise pour moi la force et la vulnérabilité.

ATOMS est un très bel album sensuel et tout en élégance à l’image de ta pochette.  

Merci. Ça me fait plaisir.

Lorsque je découvre TRAPPED, mon cerveau vacille avec le nombre d’influences que ta voix véhicule. On passe de Bjork à Grace Jones

Oui, c’est un mélange de plusieurs univers musicaux : The Doors, PJ Harvey, Marianne Faithfull, Patti Smith, David Bowie, Nick Cave, Grace Jones, Nick Drake… avec les grandes chanteuses de blues/jazz comme Nina Simone, Shirley Bassey, Sarah Vaughan, Etta James….sans oublier Lisa Gerard de Dead Can Dance. Je voulais créer ma propre signature en mélangeant différents univers. En fait, je ne réfléchis pas trop honnêtement, je chante tout simplement ce que je ressens sans contraintes.

Les morceaux s’enchainent et forment un tout sur ATOMS. Je trouve même que TRAPPED et I’VE BEEN HERE BEFORE se répondent…

Tout au long du disque et particulièrement sur ATOMS les arrangements de cordes de Marc Olivier sont incroyables, pleins de mélancolie. Chaque morceau a sa propre histoire, mais c’était important pour moi qu’on sente une continuité entre eux. ATOMS est une aventure intense dans l’introspection. Je voulais absolument des cordes pour compléter le côté dramatique et poétique des morceaux.

Tu chantes beaucoup de questionnements, d’incertitudes. 

C’est important pour moi, d’être sincère, de parler de nos questionnements, doutes, peurs, délires, contradictions, ces pensées obsessionnelles que nous avons tous. Notre conscience est complexe, vivre dans ce monde est complexe, on est tous conditionnés jusqu’à un certain point et on est souvent prisonniers de nos pensées. C’est curieusement fascinant remplis de beauté, de magie mais aussi de tragédie et beaucoup d’injustice. On passe notre vie à essayer de comprendre, de trouver un sens, notre identité et en fait gérer nos émotions intenses et absurdes. Je voulais tout simplement écrire sur ce processus car c’est tellement important pour moi et aussi ce fut très libérateur. Je crois que c’était tout simplement une nécessité.

Tu chantes avec une rare intensité, comme si ta vie en dépendait…

Je pense que c’est la flamme intérieure que j’ai toujours eue sans contrôle ni retenue. Quand je chante, je donne tout ce que j’ai, rien d’autre n’existe à ce moment. C’est une quête de quelque chose de plus grand, que tu sais ne jamais pouvoir trouver, des attentes, des désirs imaginés dans ta tête, mais que tu continues à chercher. Ecrire est une thérapie personnelle.

Photo by Ben Wilkin
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A propos d’intensité, tu as rendu un hommage très émouvant à Sinead O’Connor sur ton mur…

Merci. Oui, TROY est un morceau qui m’avais beaucoup marqué quand j’étais plus jeune. Cette chanson est remplie d’émotions viscérales d’une grande beauté, cette rage poétique, cette voix…

Puisque nous parlons d’intensité, comment gères-tu cette hypersensibilité en dehors de la scène ?

Je crois que la plupart des gens créent un filtre pour se protéger, pour se cacher mais en fait je préfère accepter la réalité et ses complexités plutôt que de faire semblant. Je n’ai jamais été capable de rester silencieuse longtemps. Peut—être cette hypersensibilité est en lien avec ma neurodiversité ou tout simplement le désir de vouloir exprimer une certaine sincérité. La méditation fait maintenant partie de ma vie et ça m’aide à fonctionner de façon plus zen. Avec un  jeune enfant qui est très actif, tu n’as pas le temps de rester prisonnière de tes pensées trop longtemps. Je crois qu’avec le temps et avec un peu de sagesse, on apprend à lâcher prise ou alors on devient complètement cinglé. Je n’en sais rien, on verra plus tard.

Quel est le processus de création lorsque l’on enregistre un disque si puissant avec l’homme avec qui l’on partage sa vie ?

Je crois que c’est important de savoir quel rôle on a dans le projet. Une fois défini, ça rend le processus plus efficace. Je prends beaucoup de temps seule pour écrire mes morceaux et mes textes. Je fais des version demos dont j’enregistre piano, wurltizer, bass, orgue, music box, percussions ainsi que tous les arrangements vocaux sur mon laptop.

Ensuite, avec Marc on enregistre le tout ensemble dans notre studio d’enregistrement Plastic Sound Studios. C’est difficile de trouver le temps de tout faire ensemble car nous avons un petit garçon de 6 ans. Une fois tout enregistré, Marc fait la post prod, mix. Il est super efficace avec ses multiples talents et il sait comment faire sonner un album puissant.

C’est un excellent producteur/musicien et il a su comprendre où je voulais aller mais avec sa patience, il a su s’adapter et apporter son expertise pour que cet album sonne grand et épique. Sans lui, ATOMS n’aurait pas été possible.

Votre polyvalence est impressionnante : piano, cordes, thérémine, guitares, basse, orchestration, enregistrement à Abbey Road…

J’aime toujours explorer de nouveaux sons, j’expérimente beaucoup au piano, orgues, synthés, drum machine….Dans le passé, j’ai beaucoup joué de la guitare et de la basse mais je ne maitrise pas tous ces instruments parfaitement. Pour l’album, j’ai eu la chance d’avoir Sami Yaffa (New York Dolls, Joan Jett)  qui a jouer de la basse sur quelques morceaux. Marc Olivier a fait toutes les guitares électriques et acoustiques, quelques parties de basse ainsi que les arrangements de cordes et de percussions.

Sauf à la batterie avec le fameux Christophe Deschamps.  

Oui, le merveilleux Christophe Deschamps a enregistré la batterie sur quelques morceaux ainsi que le batteur Anglais, Nathan Gregory.

I’VE BEEN HERE BEFORE est probablement le plus beau morceau de l’album où explose de manière évidente ton amour pour Portishead…

Merci. Je voulais un mood très cinématographique pour cette pièce. J’écoutais beaucoup d’Ennio Morricone, John Williams quand j’écrivais la musique. J’essayais de comprendre comment ils composaient des arrangements spectaculaires. J’ai beaucoup aimé DUMMY de Portishead à l’époque, un album qui est toujours aussi intéressant et puissant. Il n’y a pas de grands musiciens pops qui arrivent à mélanger comme eux l’univers pop/rock à des soundtracks. J’aime beaucoup passer d’un univers sonore à un autre en fonction de l’histoire ou des émotions que j’ai envie d’exprimer. Ici, je voulais retrouver la musique classique de mon enfance.

De quoi parle exactement NOBODY WINS THIS WAR ?

Cette guerre avec soi, avec les autres, avec le monde… Je voulais partager ce sentiment qu’on a tous une histoire à raconter.

Photo by Ben Wilkin

Sur THE ERRINESS semple planer l’ombre de Danny Elfman. Quel est l’univers cinématographique de Belle Scar ?

J’aime beaucoup la musique de Danny Elfman, un monde si poétique et étrange rempli de beauté. Pour l’univers visuel de Belle Scar, j’aime beaucoup jouer avec le côté créature dont tu ne sais pas trop l’origine, l’âge, le genre ; tout ça n’a pas trop d’importance. J’aime les textures visuelles un peu futuristes, un peu tribales, des éléments de la nature assez particuliers. Je recherche des matières, des tissus, des accessoires intéressants…J’ai eu de la chance de collaborer avec des designers talentueux à Londres pour m’aider avec les costumes et accessoires ainsi que des maquilleuses merveilleuses qui ont collaboré à créer un univers visuel singulier.

De la scène de prévue ?

J’ai fait un pré lancement en fait en septembre l’an dernier a Sadler’s Wells et le lancement officiel en Juin 2023 a Hoxton Hall. 2 superbes salles de spectacles à Londres. C’était sold out. C’est de gros concerts à produire avec 14 musiciens. J’espère pouvoir jouer en France bientôt. N’hésitez pas à écouter, acheter et à partager l’album.

https://www.youtube.com/watch?v=Zd1LMscii_w
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