Louise Lenepveu est une jeune photographe que nous avons eu la chance de découvrir récemment et à qui nous pensons justifié d’offrir la lumière qu’elle mérite. Ses photos sont lumineuses, comme elle, même quand elles s’arrêtent sur des natures mortes, des portraits ou du noir et blanc. Aucune introduction à son travail ne sera aussi précis que ce que cette jeune fille qui a autant de talent que d’esprit saurait en dire elle-même, et c’est pourquoi nous avons décidé de lui donner la parole. Photographe, parfois modèle, réalisatrice, bientôt éditrice de magazine, Louise est déjà partout, et cerise sur le gâteau, elle comprend ce qu’est Playboy !
Playboy : Que dirais-tu à un inconnu intéressé par toi et ton travail pour le décrire de la meilleure manière possible ?
Louise Lenepveu : Répondre à ce type de question a toujours été difficile pour moi. C’est très compliqué de décrire un travail « pictural » en utilisant des mots. C’est d’ailleurs probablement la raison pour laquelle je fais des images. Je dirai malgré tout que j’essaie de capturer des instants qui racontent une histoire, de ne pas produire des images « plates » – et de faire ressentir quelque chose au travers de ces images. J’essaie, par exemple quand je fais du portrait (ce que je fais de plus en plus ces derniers temps) de capturer ce que le modèle m’inspire. Je serais incapable de faire de belles images de quelqu’un que je n’aimerais pas ; heureusement ça n’arrive pas souvent. J’éprouve une fascination pour les années 70 – et de manière inconsciente, mes images sont le reflet de cette fascination. Elles s’ancrent malgré moi dans une esthétique un peu vintage, avec des sujets qui ne le sont pas toujours, ce qui me permet de faire des images un peu « hors du temps ». Mon travail ne se limite pas au portrait, je fais aussi ce que j’appelle des fragments. C’est aussi le résultat d’une fascination, que je n’arrive pas à m’expliquer non plus, que j’ai pour des choses comme les laveries, les stations essence, les abords de lignes de train, et d’autres objets/icônes du quotidien auxquels on ne prête d’habitude aucune attention.
Te sens-tu connectée à d’autres artistes (inspirations, etc.), et si oui, lesquels ?
Mes sources d’inspiration sont diverses et variées. Par exemple dans le domaine de la photographie j’aime beaucoup Garry Winogrand, Martin Parr, Helmut Newton, Saul Leiter, Harry Gruyaert, Edward Ruscha et bien d’autres. Je suis aussi une inconditionnelle du travail d’artistes comme Andy Warhol, Basquiat ou bien Robert Crumb. J’ai toujours été très attirée par la musique, notamment par le rock des années 70 et par toute l’iconographie qui va avec cette musique. Je pense que c’est encore quelque chose qui, malgré moi, se ressent dans mes images. Le cinéma est aussi une source d’inspiration.
Justement, je trouve que tes photographies sont très souvent d’inspiration « cinématographique » (dans les couleurs, les cadrages, les contre-plongées…) Pourrais-tu préciser ce qui t’inspire ou t’attire dans ce medium ?
En effet, le cinéma exerce une grande influence sur moi. Le réalisateur que j’admire le plus est Jim Jarmusch. Stranger than Paradise et Permanent Vacation sont des chefs-d’œuvre absolus. Sans être exhaustive, je suis aussi admirative du travail de cinéastes comme Wim Wenders, Tarantino, Kubrick, David Lynch… Comme pour la photographie, mes références ne sont pas forcément « actuelles ». Je m’intéresse autant au cinéma qu’à la photographie, j’essaie de faire les deux. J’ai réalisé récemment un premier court-métrage avec Mathilde Belin, qui en a écrit le scénario, et c’est une expérience que j’ai adorée. Et il y en aura d’autres, c’est sûr.
Tu fais du studio mode, des éditos, des natures mortes, ton travail est très varié : qu’est-ce qui te fait le plus vibrer ?
Ce que j’apprécie le plus, c’est que cela change avec le temps. Au départ, je faisais beaucoup de natures mortes et des sujets inanimés. Depuis quelques années, c’est vraiment l’humain qui suscite mon intérêt. J’aime choisir mon modèle, choisir le lieu du shooting, les vêtements, les pauses, l’attitude, la lumière, ces éléments combinés me permettent de capturer ce que je fantasme, ce que j’imagine, comme pour raconter une histoire, mais sans les mots.
Ton univers semble également très mode et pensé sur ce plan : mets-tu les deux univers en relation ?
La mode est une branche de la photographie qui est très créative et très artistique. Des grands photographes comme Helmut Newton ou Paolo Roversi sont avant tout des photographes de mode. Le mot « artiste » est un mot qui me pose problème, c’est presque un gros mot. La mode est pour moi un prétexte qui permet de faire des images. C’est un univers où je me sens extrêmement libre. La contrainte est aussi un élément stimulant. J’aime pouvoir dépasser certaines limites. Il s’agit certainement des restes de ma crise d’adolescence. Il ne faut rien s’interdire. Par exemple : quand le sujet est un vêtement, choisir un traitement « contrasté » en postproduction (ce qui a pour effet de faire disparaître presque complètement le vêtement) pourrait paraître inapproprié… et pourtant c’est quelque chose qu’on peut se permettre dans la photo de mode et j’adore ça !
Quel matériel utilises-tu ?
Dès mon plus jeune âge, j’ai eu la chance de pouvoir utiliser un appareil argentique. Il appartenait à ma mère, qui est photographe. Il s’agit d’un Nikon FM2, et pendant une longue période, je n’ai utilisé que celui-ci pour mes photos. Aujourd’hui, j’utilise un Nikon Z8. Je fais la plupart du temps des photos au numérique, pour des raisons pratiques et aussi à cause du prix de la pellicule et des traitements. Malgré tout, je continue d’utiliser mon FM2 ainsi qu’un Rolleiflex pour certains projets, lorsque je souhaite aborder les choses de manière différente. À mon avis, les images ne sont pas les mêmes en numérique et en argentique. Je réfléchis beaucoup plus à l’image que je souhaite obtenir lorsque j’utilise un appareil argentique et je prends beaucoup moins de photos. C’est une autre approche de travail. Pour ce qui est de la lumière, je travaille beaucoup au flash, un Profoto A10 que je peux utiliser en toutes circonstances.
Aimes-tu aussi être de l’autre côté de la caméra ? Être modèle ?
Non, je ne supporterais pas de me trouver de l’autre côté de l’objectif. C’est probablement la raison pour laquelle je suis photographe ! Au moins, je suis certaine de ne pas être sur la photo. Ça m’est quand même arrivé de faire des autoportraits, mais plus par manque de temps pour organiser un shooting, ou en raison d’une envie irrépressible de faire des images – que par envie de me prendre comme sujet. C’est assez pratique de toujours avoir un sujet sous la main, soi-même, mais c’est aussi difficile d’être objective par rapport à sa propre image et de raconter quelque chose quand on connaît tout du sujet.
Quels sont tes projets ou tes rêves ? J’ai entendu dire que tu songeais à lancer un magazine ?
Mon travail est mon moteur, et je suis heureuse tant que je fais des images. Je suis de plus en plus attirée par les images en mouvement, la vidéo, le clip et le court métrage. L’autre enjeu effectivement, est que ces images soient vues. C’est évidemment plus intéressant de pouvoir partager son travail. Je suis attristée qu’aujourd’hui nos images n’existent que sur Instagram… Pour moi les images sont des objets. Le papier, le tirage, le format la constituent à part entière. J’ai envie que ces images puissent vivre sur des formats palpables, qu’elles soient ancrées dans le réel. C’est de cette réflexion que m’est venue l’envie de faire un magazine. En collaboration avec Noémie Tissot-Rosset, nous sommes en train de concevoir et réaliser le premier numéro de Wiper Magazine, qui traite des créateurs émergents et de la mode parallèle, comme l’upcycling. La première édition va sortir prochainement !