Le mythique acteur italien aurait fêté ses 100 ans en cette rentrée ! Tandis qu’une rétrospective Mastroianni s’achève à la Cinémathèque française, c’est l’occasion pour Playboy France de revenir sur cette figure masculine et admirablement moderne, à l’heure où la masculinité subit un interrogatoire musclé… « Not all men » ?
Marcello Mastroianni est sans conteste un modèle hautement recommandable : homme sublime, talentueux, charmant, facétieux, sensible, courtisé… Il est l’homme qui se domine et qui n’abuse pas de son magnétisme pour dominer les autres. Il a donné la réplique aux femmes les plus séduisantes de son temps — entre autres Brigitte Bardot (bon anniversaire aussi !), Claudia Cardinale, Monica Vitti, Romy Schneider et bien entendu Sophia Loren — mais il a surtout donné à des cinéastes de génie la possibilité de déconstruire la figure du séducteur latin, qu’il a toujours soignement contournée.
En revisitant sa filmographie, il apparaît clairement que Mastroianni a constamment cherché à explorer la complexité de la vulnérabilité masculine, avec des rôles d’hommes tourmentés, en butte aux attentes de la société — les pressions de la famille, des voisins, des femmes, des religieux… Les personnages de Marcello, légèrement indifférents à ces pressions, mais pas assez pour ne pas en souffrir, doivent faire face à l’hypocrisie de la conscience petite-bourgeoise, et tenter de sortir du carcan des traditions qui les accablent. Dans « Le Bel Antonio » (1960), il interprète un homme confronté à l’impuissance sexuelle, tandis que sa vieille famille siciliene considère qu’un manque de virilité pourrait causer un péjudice moral à leur lignée. Dans « Une journée particulière » (1977) d’Ettore Scola, il incarne un homme homosexuel persécuté dans une Italie fasciste, ou encore un homme enceint dans « L’évenement le plus important depuis que l’Homme a marché sur la Lune » (1973) de Jacques Demy. Placés dans des situations délicates vis-à-vis de leur masculité, ses personnages sont généralement des hommes conscients de leurs failles, poussés à l’introspection par la confrontation avec leurs propres limites. Mais Marcello ne vacille jamais dans sa virilité ! Il ne joue pas à être un homme : il l’est, tout naturellement, avec ce charme insouciant de l’homme qui n’a pas peur de douter.
Par son jeu inoubliable — la mémoire et l’oubli sont d’ailleurs des thèmes qui hantent ses derniers films, comme « Fantôme d’amour » (1982) de Dino Risi, où on le retrouve, hagard, poursuivant le spectre d’une ancienne maîtresse incarnée par une Romy Schneider qui disparaîtra peu après le tournage —, il offre à tous les hommes un modèle à imiter, un diapason avec lequel s’accorder pour vivre en harmonie au milieu des loups.
Dans sa vie personnelle, Marcello Mastroianni était réputé pour sa gentillesse, sa modestie et son respect — mise à part ses aventures extraconjugales, qui ne semblent dictées que par les strictes nécessités de l’amour le plus pur : marié à Flora Carabella, la mère de sa première fille, depuis 1950 et à une époque où le divorce était impossible (c’est le sujet de fond du « Divorce à l’italienne » (1961) de Pietro Germi) il vécut notamment une aventure secrète avec Faye Dunaway, puis une histoire d’amour passionné avec Catherine Deneuve, rencontrée sur un tournage et qui deviendra la mère de son deuxième enfant.
En offrant une représentation nuancée de l’existence masculine, Mastroianni apparaît comme un modèle de masculinité positive, emprunt de fragilité, de profondeur et d’une puissance retenue qui semble tant manquer aux hommes de notre temps. Un modèle formidable, à une époque où les hommes sont sommés de se confronter au potentiel nocif de leur masculinité — et un contraste salutaire, voire un antidote, à cette vision généralisée de la masculinité perçue comme essentiellement prédatrice et dénuée de sensibilité, où l’homme est dépeint comme une bête furieuse à dompter.
Dimitri Laurent