« Marilyn Feltz » est une marque de vêtements inspirée par la mode vintage et rétro créée par un couple original aux références infinies, Marilyn Feltz et Alexis Gaffuri. Pour ces deux artistes, il n’était pas concevable de se soumettre aux injonctions du monde de la mode et ses rythmes financiers, productivistes et impersonnels. Créer une robe est pour eux comme écrire la page d’un livre universel ou poser une pierre pour ériger la façade d’une cathédrale. Marilyn invente, dessine, réalise, et son mari au passé artistique chargé, notamment par la musique, l’accompagne dans cette aventure par son goût, son expérience, et parce que son œil masculin lui permet aussi d’apporter des projets parallèles. Un temps parisiens et bien implantés dans l’univers créatif de la capital, ils ont fait le choix courage de s’exiler, d’oser se barrer pour renaître à Roubaix, loin du tumulte, des prix exorbitants et avec la possibilité de souffler aussi pour promettre à leur marque de lui donner toute leur attention. Produire en France, choisir les tissus comme on choisit le prénom d’un enfant, retrouver les coupes qui nous faisaient rêver au cinéma, permettre aux femmes de devenir les femmes qu’elles ont toujours fantasmé être, c’est ça leur désir ! Mais plutôt que d’en dire trop, nous avons interrogé ce couple flamboyant pour leur poser toutes les questions afin qu’ils nous expliquent d’où ils viennent, ce qu’ils font, ce qu’ils aiment, et pourquoi vous devriez, vous aussi, les connaître !
Playboy France : Considérez-vous votre aventure avec cette marque comme une aventure artistique de la même importance que si vous aviez décidé d’écrire ou film ou de sculpter les portes du Paradis ?
Alexis : Dans une autre vie j’ai eu une carrière de batteur… Pendant plus de 15 ans j’ai enregistré des disques et donné des concerts dans le monde entier. J’aime l’idée de créer une marque de vêtements comme on fait un groupe de rock. Après toutes ces années dans la musique, nous avons hérité d’une culture DIY qui a été pour nous le moteur dans notre processus de création… Il faut être un peu fou pour se lancer dans une telle aventure… Mais surtout il faut le faire avec de bonnes intentions et avoir le cœur pur car la fashion est un business tellement sale… On s’est donné pour ligne de conduite d’y remettre un peu de sens et d’amour, car le vêtement n’est pas qu’une mode, mais c’est surtout notre seconde peau. Quand nous avons commencé nous ne connaissions rien ni personne dans le business, par contre Marilyn avait une idée tout à fait claire et nette des robes qu’elle voulait créer. « Marilyn Feltz », la marque, est avant tout un projet artistique, l’envie de « faire du beau ». Notre background est plus artistique que commercial et marketing, c’est clair!
Marilyn : C’est complètement ça. Le but de l’industrie du prêt-à-porter est d’habitude de faire de l’argent en proposant des produits rapidement consommables. Nous avons eu envie de prendre ce business à contrepied et raconter une histoire. Notre histoire. Proposer un angle et des pièces très personnelles et inspirantes qui font échos à nos souvenirs ou sont des clins d’œil à notre vie. C’est effectivement comme dans un livre ou un film, mais où notre histoire s’efface au profit de l’histoire que nos clientes créeront un peu grâce à nous. Ce sont elles les héroïnes de notre travail! Rares sont les créateurs de prêt-à-porter qui osent incarner ce qu’ils font. C’est se mettre à nu. Il faut l’assumer.
Playboy France : vous formez un couple dans la vie et vous assumez de travailler également ensemble à la création de la marque. Pourtant, elle porte le nom de madame. D’abord, pourquoi ? Et ensuite pourriez-vous nous détailler plus explicitement le rôle de l’un et de l’autre dans votre processus ?
Marilyn : C’est quelque chose auquel on a beaucoup réfléchi. Aucun des noms de marque auxquels nous avions pensé nous semblait assez personnel et pertinent, assez fort, et authentique. Un nom propre nous paraissait la seule façon d’être honnête. Alexis ayant un nom à consonance italienne, on s’est dit que le mien serait plus approprié pour une marque française. Et « felt » en anglais désigne des tissus doux, donc voilà, on n’a pas cherché plus loin !
Alexis : Je ne suis pas dans l’ombre de Marilyn, on se repartit le travail de façon tout à fait équitable. Marilyn pense et dessine nos collections, elle fait la DA. Nous faisons les recherches des matières, le suivi de production et la vente ensemble. Je m’occupe de toute la partie la moins fun du business (comprendre l’administratif et le financier). Le « business familial », artisanal, est un modèle noble qui a, hélas, quasiment disparu. Pour Marilyn et moi c’est important de l’affirmer avec une marque « éponyme » qui, symboliquement, incarne une personne. Pas une énième marque anonyme et interchangeable…
Playboy France : l’actualité forte de ce début d’année c’est la collaboration inattendue avec « Blancheporte » pour une collection. Comment l’idée, et par qui, est-elle venue sur la table ? Avez-vous hésité ? Avec un peu de recul, le résultat ressemble-t-il, à tous les niveaux, à ce que vous espériez, et surtout, pour vous qui êtes une marque indépendante et marginale, dans le bon sens du terme, est-ce que c’est le genre d’expérience que vous aimeriez répéter ?
Marilyn : J’ai rencontré Salvatore Spatafora, directeur associé de Blancheporte, lors de notre vernissage au musée de la Piscine. Le courant est tout de suite passé : nos valeurs, le rapport proche avec nos clientes, le désir de faire travailler de beaux ateliers… C’est vrai qu’à priori tout nous oppose : Blancheporte est une marque bi-centenaire qui est connue de toutes les françaises pour son prêt-à-porter accessible et nous sommes une jeune marque underground et ultra glamour! Mais on s’est étonnamment découvert beaucoup de points communs et avons décidé de créer une capsule ensemble. On s’est dit qu’en joignant nos forces le résultat pourrait être génial! Nous avons chacun fait un pas vers l’autre et sommes tombés d’accord sur une capsule très fraîche d’un style sûrement plus jour qu’à notre habitude mais très féminine et originale car ils nous ont laissé carte blanche sur la direction artistique. Blancheporte nous a apporté leur grande expertise en termes de production, de force de frappe et de communication. Nous leur avons apporté notre univers pointu, surprenant et incarné. Alexis et moi avons réussi à penser des pièces très personnelles, mais aussi plus simples à porter au quotidien. C’est la première fois que nous dessinons nos propres imprimés exclusifs, ce que nous voulions faire depuis des années! Et puis grâce à Blancheporte nos clientes ont pu s’offrir des pièces plus accessibles en prix, mais aussi une palette plus large de tailles et des coupes plus casual que ce que nous faisons habituellement. Les pièces de cette capsule Blancheporte sont très complémentaires à notre travail et se fondent parfaitement dans notre showroom! Cette expérience a été très inspirante… Ce travail d’équipe nous a transporté et nous a fait réaliser l’étendue des possibles pour notre griffe! Donc oui, à refaire avec grand plaisir!!
Playboy France : Votre travail est clairement influencé par des époques très marquées et des artistes plus que lookés, mais à la fois les mélanges sont explosifs et on sent que vous aimez autant David Bowie que Marilyn Monroe… Quelles sont vos influences les plus fortes, vos artistes favoris, ou ceux avec lesquels vous vous sentez le plus en symbiose ou fraternité ?
Marilyn : Je suis très inspirée par les villes dans lesquelles j’ai vécu : l’ultra-cinématographisme de Hollywood, le Bahaus efficace et robuste de Berlin et le Street-smart de Paris. J’aime que le vêtement donne le « La » à notre journée ou notre soirée, et développe l’imaginaire. Le soir j’aime les figures de Erte, les grandes robes de caractères aux manches de prêtresses. Je m’inspire du mouvement Biba et de Ossie Clark dont j’adore les silhouettes et les lignes ultra féminines. Des images très rock’n’roll de Jerry Hall aussi et de la période Palace, les robes en lamé décolletées à manches chauve souris que l’on porte jusqu’au petit matin Champagne à la main. Les femmes qui m’inspirent sont des femmes libres, fortes et sensibles. Je pourrais citer Romy Schneider, Dalida, Poison Ivy, Theda Bara… Mais mes vraies muses sont en général plus dans le métro et les clubs que devant des cameras!
Alexis : Le « Old Hollywood Glamour » et le Glam Rock sont des sources d’inspiration intarissables dans nos créations. La base, notre terreau. Mais pas que… Nous avons vécu à Berlin pendant 4 ans, c’est une période de notre vie où nous sortions beaucoup. Je pense que c’est cette ville qui a le plus influencé nos créations. Ses soirées « Queer » où toutes les extravagances sont possibles… Le style que l’on développe à travers nos collections n’est pas fantasmé, nous avons vécu intensément cette période de notre vie. Aujourd’hui nous habitons à Roubaix, mais c’est à Berlin que l’on fait beaucoup de sourcings, on a nos adresses secrètes pour trouver des pépites vintage dont on s’inspire… Il y a sûrement une touche de nostalgie dans nos robes au niveau de la coupe ou des motifs. Le prêt-à-porter des années 70 permettait beaucoup plus de fantaisies qu’aujourd’hui, c’est une évidence. Il suffit de regarder les vieilles photos de famille pour comprendre qu’il régnait une certaine « flamboyance », une certaine classe dans les habitudes vestimentaires à l’époque. Même dans les classes populaires… Il ne fallait pas forcément être une rock star pour porter des tenues excentriques. On entretient cette flamme. Pour être crédible dans ce métier je pense qu’il faut avoir un peu vécu… Les écoles de mode me dépriment car la très grande majorité des étudiants qui en sortent font la même chose… Ça n’a aucun intérêt. Marilyn n’est clairement pas influencée par ce que les gens appellent communément «la tendance», on n’a jamais cherché à être à la mode!
Playboy France : vous avez quitté Paris pour Roubaix, ce qui est un choix rare et surprenant. Pourriez-vous l’expliquer ? Le regrettez-vous ou bien au contraire en êtes-vous contents ? Avez-vous envie un jour de revenir ? Naïvement, on aurait tendance à penser que les clients pour ce genre de vêtements originaux seraient plutôt parisiens, n’est-ce pas trop difficile de survivre loin de la capitale ?
Marilyn : On aime partir à l’aventure! Et quand on nous a proposé Roubaix, qui cherche à faire revenir les créateurs, on s’est dit pourquoi pas! On n’a jamais eu peur de sortir de notre zone de confort. On vivait village Jourdain à Belleville, notre boutique était rue Charlot dans le Marais, il fallait être de sérieux aventuriers pour oser Roubaix! Mais je me projetais bien dans ces vieilles usines à briques rouges, leur petit côté berlinois m’a plu. Ce qui m’a particulièrement intéressée c’est l’aspect laboratoire de la ville qu’il n’y a plus du tout à Paris où on ne peut plus se permettre d’expérimenter. On voulait un endroit plus « punk » et avec moins de codes. Nos clientes sont partout dans le monde, pas plus à Paris qu’ailleurs, et je crois que certaines d’entre elles ont été amusées de suivre notre aventure roubaisienne sur les réseaux! Là, par exemple, nous attendons des clients de Tokyo, qui viennent à Roubaix pour découvrir nos nouveautés et en même temps voir les ateliers et découvrir l’histoire du textile d’ici. C’est une étape qui nous fait évoluer, il y en aura d’autres. On reviendra certainement à Paris mais pas maintenant. Je ne pense pas que ce soit le bon endroit pour les entrepreneurs en ce moment.
Alexis : Roubaix est une ville qui a un immense passé dans le domaine du textile. Elle s’est construite autour de cette industrie mais tout a quasiment disparu aujourd’hui. Il lui reste des symboles de cette grandeur révolue. Il y a aussi beaucoup de stigmates de la crise, des usines et des ateliers à l’abandon qui laissent de la place aux créateurs pour s’exprimer. Beaucoup d’artistes choisissent de s’installer ici car il y est possible de bénéficier de loyers modiques pour des espaces de travail vraiment chanmés. Cela est très stimulant intellectuellement pour qui croit aux fantômes, sait voir la beauté dans l’architecture, les friches industrielles… La légende veut que le siège social de LVMH soit à Roubaix, Bernard Arnaud étant originaire de cette ville. On peut donc y faire des rencontres improbables… Notre nouveau showroom est dans un lieu absolument incroyable : un ancien couvent dans les quartiers Nord réputés sensibles. Julie Antoine, aka Dame Castagne, ancienne boxeuse et docteure en sociologie, a investi Le Couvent de la Visitation. Elle en a fait un tiers lieu qui accueille des talents de tous horizons : restaurateurs, frippiers, créateurs, musiciens… C’est vraiment un lieu extra-ordinaire… C’est le Roubaix que l’on aime. Celui qui fait croire qu’une alternative est possible. Cette alternative n’est plus possible à Paris. Ses rues commerçantes sont devenues les mêmes que dans toutes les autres grandes villes, les mêmes enseignes pourries partout… L’indépendance n’est possible que dans des villes comme Roubaix qu’on pourrait comparer à Detroit.
Playboy France : vous habillez régulièrement des modèles ou des artistes pour des évènements : si vous pouviez habiller votre star de rêve, ou produire une collaboration pour un évènement, une tournée, un film ou que sais-je, qu’est-ce que ou qui ce serait ?
Marilyn : On a la chance d’avoir déjà été approchés par des artistes incroyables, et chaque rencontre a été surprenante et géniale! Nous sommes fières de nos ambassadrices, elles renvoient une très belle image de notre marque. On ne s’habille pas chez nous par hasard! Si demain on nous proposait de travailler avec David Lynch, Lana Del Rey ou d’habiller Julianne Moore bien sûr ce serait la cerise sur le gâteau! Mais bon… c’est un business… beaucoup d’artistes nous contactent « en off », mais sous les projecteurs ne portent que les marques qui les paient pour cela. C’est du sponsoring. Quand tu vois par exemple que Rita Ora, qui pour certains est le comble de la coolitude, signe une collab avec Primark, l’une des marques la plus mortifère et moche de la planète, tu as tout compris… L’intégrité ne fait pas long feu face à un gros chèque.
Playboy France : Alexis, vous vous occupez également d’une partie masculine nommée « Blousons Noirs’, pourriez-vous nous en dire plus ?
Alexis : J’ai éprouvé le besoin de créer des vêtements pour homme il y a 4 ou 5 ans. Beaucoup de garçons semblaient dépités qu’il n’y a pas de proposition pour eux à la boutique… Et j’avais envie de me lancer depuis longtemps alors j’ai créé une petite capsule de pantalons à pince taille haute, chemises loose fit ou col pelle à tarte, spencer jacket… Tout cela est fabriqué dans les mêmes ateliers que Marilyn Feltz. Je me suis inspiré du retour des années 50 dans les années 80, les Zazous, le style de l’immense Antony Price, Roxy Music, Japan, Fred Chichin, les Greasers… Je collectionne et je déniche aussi des vieux perfecto… L’ultime accessoire du mec cool. Du coup j’ai intéressé pas mal de personnalités du monde de la musique comme Kid Congo, Miossec, Radio Elvis, Gaspard Royant, Prieur de la Marne, François Nguyen, Phil Almosnino… Des rockers et des dandys anonymes aussi…. J’aurais adoré habiller le chanteur Christophe ; je lui en avais parlé un soir au bar du Crillon…
Playboy France : en 2024, continuer de se battre, de créer du textile français, original, vintage dans l’apparence, rock, élégant, c’est digne du miracle : comment expliquez-vous que vous parveniez à continuer cette mission, et est-ce ainsi que vous la ressentez, comme une mission, un exploit, un combat ?
Alexis : Les costumes pour les JO de l’équipe de France sont fabriqués en Italie… Cela en dit long sur la difficulté de relocaliser la production textile dans notre pays. Le « made in France » est une forme d’utopie.
Marilyn : C’est un combat et un exploit en même temps. Le made in France est certainement la façon la plus difficile de travailler dans le prêt-à-porter, mais aussi la plus intéressante car elle nous a permis d’être tous les jours à l’atelier aux côtés de nos couturières et de faire face à tout ce qu’il y a de plus compliqué dans le business. Mais pour nous le made in France n’est pas une fin en soi. On veut maintenant agrandir notre gamme pour satisfaire une clientèle plus « jour ». Le Portugal, par exemple, nous fait de l’œil car, déjà, ils sont sympas, et ont une culture de la couture remarquable. On vient aussi de faire un voyage en Indonésie, sur les traces de William Morris, une de nos plus grandes influences! Et nous avons été bluffés! Les imprimés, la culture de la couture, les savoir-faire, la bonne humeur et le respect. J’adorerais travailler avec eux!
Playboy France : que peut-on attendre de « Marilyn Feltz » pour la fin de l’année et l’avenir ?
Alexis : On va continuer à sortir nos petites capsules haut de gamme chaque mois qui seront disponibles sur notre site. Marilyn a commencé aussi à coudre elle-même des pièces uniques avec des matières up-cyclées ou avec des chutes de nos anciennes collections. D’autres collaborations sont en pourparlers! On nous a fait des propositions qu’on est en train d’étudier. Parfois éloignées de notre univers mais on aime ce genre de défi! On aime le challenge et prendre les opportunités au jour-le-jour!! Marilyn a envie de développer une gamme destinée à la location pour des événements car la demande est grande. Et on pense à notre prochaine étape géographique aussi! On est une meute, famille et travail sur notre dos : c’est ça notre luxe!