Playboy France a eu la chance de visionner en avant-première le film « Rocancourt » réalisé par David Serero. Critique suivie d’un entretien exclusif avec l’étonnant réalisateur de ce documentaire unique.
C’était comme les films à Hollywood sauf que tout était vrai et l’histoire commençait en Normandie… Cette histoire, c’est celle de Christophe Rocancourt, racontée par le réalisateur David Serero. Rocancourt, c’est l’aventurier d’un monde dont on connait déjà tout. Quand plus rien n’est à découvrir, c’est à l’intérieur des hommes qu’il faudra chercher les trésors. Rocancourt a bien cherché, peut-être même comme personne, et il en a trouvé des trésors, et de temps en temps ceux-ci se cachaient dans les poches et les porte-monnaie d’innocents crédules qui cherchaient à vendre un immeuble ici ou à monter un business à moitié foireux là-bas.
De fil en aiguille, pour ne pas dire d’arnaques en numéros de charme, Christophe s’est extirpé d’un destin qui ne lui promettait pas grand chose pour arriver tout en haut, là où on ne sait pas trop ce qu’on va trouver et où souvent on ne trouve rien. Mais d’en bas, ça brille ! Depuis les tranchées populaires, on veut y grimper là-haut, vers la lumière et les étoiles. Rocancourt en a fréquenté des stars : des plus belles mannequins du monde aux acteurs les plus virils à la Mickey Rourke, il a même réussi à faire une fille magnifique avec une miss France !
On a tout dit sur Rocancourt, on a tourné et retourné ses affaires dans tous les sens. On en a fait l’escroc des stars, l’ennemi de Polnareff, le frenchie qui déchire tout aux states, le manipulateur de ses dames, on a épluché, souvent assez mal, ses comptes, ses plans, ses idées… Il a même écrit lui-même des ouvrages pour participer au mythe. L’intérêt d’un énième documentaire sur son parcours ne semblait pas évident… Mais David Serero l’a trouvé, l’intérêt.
Serero c’est aussi un personnage ! On l’imagine parfaitement dans un film de Sergio Leone ou de Scorsese aux côtés de son ami Christophe : tantôt chanteur et compositeur lyrique, tantôt cinéaste attiré par les figures sulfureuses, parfois investisseur courageux, parfois amateur de Napoléon ou de mode masculine, il faut le suivre dans son propre destin flamboyant… C’était écrit que ce serait lui qui parviendrait à s’attaquer la légende Rocancourt par un angle nouveau. Et si on filmait Christophe plutôt que Rocancourt ? Et si, plutôt que de narrer une fois de plus le détail de ses aventures – certes passionnantes –, on lui donnait la parole ? Et si on cherchait à connaître l’homme derrière le masque ? C’est que que Serero a voulu faire.
Et David Serero ne fait visiblement jamais les choses à moitié ! Alors qu’il aurait pu faire sagement asseoir son sujet sur un canapé pour l’interroger une petite heure, il a plutôt réalisé un véritable film qui mélange moments de fictions filmés qui n’ont rien à envier à ce qui se fait dans le cinéma traditionnel avec une course poursuite de bagnoles, des plans de drone, des reconstitutions musclées, de l’acting, et surtout, surtout, un montage haletant. Serero, ça se sent, a passé du temps derrière les manettes pour monter son film comme un horloger assemble une montre de luxe : il a cherché à en faire un bijou.
Ce qui est plus touchant cependant, ce sont les passages où Christophe est là, en gros plan, peut-être encore plus lorsqu’il marche et erre sur les propres traces de son passé perdu plutôt qu’assis face à la caméra… Ces séquences contemplatives ne sont pas sans rappeler l’excellent documentaire « When we were beautiful » consacré à Bon Jovi.
C’est vraiment Rocancourt qui porte le film, et c’est un signe de réussite puisque le film, lui, porte son nom. On découvre une intelligence, un sensibilité, un père exemplaire et aimant, un enfant meurtri, on découvre quelqu’un qui a tout vécu et qui pourtant est resté le petit normand qu’il était dans les jupes d’un père qu’il n’a pas su retrouver à temps. On comprend que gravir la montage et faire tous les excès ne suffit pas, que la vie n’est pas là, et que ces parenthèses dorées ne sont que des sortes de nuits d’ivresse prolongées sur quelques années. Les lendemains font mal et il faut reconstruire une existence plus humaine. Rocancourt qui a brûlé la vie par les deux bouts, grillé des cigarettes dans les lieux les plus cools et prestigieux du monde, allume aujourd’hui des cierges pour rendre hommage à Thérèse de Lisieux, la sainte la plus extrémiste dans le bon sens du terme – en existe-t-il un mauvais ? – du monde. Je n’ai pas été si surpris d’apprendre l’amour de Rocancourt pour cette figure de la spiritualité. Thérèse, c’est l’absolutisme, l’excès quasiment jusqu’à la folie, c’est le désir d’aller au bout du bout, et d’y aller vite. De sa naissance dans le Calvados, cette autre petite normande n’a eu besoin de rien d’autre que de son culot, sa passion et son amour pour changer le monde et devenir une légende exactement là où elle voulait finir, librement, sur le toit du monde, et même au-delà, après le monde, après la mort. Thérèse c’est la spiritualité hystérique mais douce, l’ambition tarée mais souriante, l’érotisme mais contenu, l’excès qui fonctionne, l’amour de la vie mais aussi l’impatience de la mort. Ça rappelle quelqu’un ! Quand Rocancourt se promène à l’église et qu’il parle de son rapport à Dieu – avec cette lumière tamisée propre à ce documentaire de Serero – on le lui donnerait sans confession !
L’autre moment fort, c’est évidemment l’apparition, là encore comme miraculeuse, de sa fille Tess. Elle semble avoir hérité la beauté de sa mère et la vivacité de son père. Peut-être est-ce parce qu’il a enfanté une sainte qu’il en admire une autre ? Rocancourt l’entend parler en même temps que nous et retient ses larmes.
La fiction essaie depuis toujours d’écrire enfin un vrai film, joué, sur le destin de Rocancourt ; la télévision ne cesse de créer du contenu qui tourne autour de sa légende ; Serero, lui, a fait un savant mélange qui nous permet une plongée inédite dans le cerveau d’un homme fascinant, parfois rongé, parfois lumineux, un homme libre qui a ses failles et ses erreurs, certaines payées comme il le devait, d’autres avec lesquelles il devra vivre, et qui aujourd’hui renaît, parce que c’est aussi ça Rocancourt, c’est le phénix de Normandie !
Entretien avec David Serero :
Playboy France : Vous êtes un artiste, notamment musical, avant d’être un producteur et même un réalisateur : comment avez-vous pensé à Christophe Rocancourt pour être le sujet d’un film ?
David Serero : J’ai toujours été passionné par les parcours de vie différents. Je suis fasciné par ces individus qui ont changé le cours de leurs domaines et qui l’ont marqué. Tous mes précédents films le prouvent avec Elie Tahari dans la mode, Hélène Grimaud dans la musique classique, Lisa Azuelos dans le cinéma, Richard Orlinski dans la sculpture, et bien entendu Christophe Rocancourt dans son domaine. J’ai aussi grandi avec son histoire. Je me souviens lorsque je venais d’emménager à New York en 2001 que l’on parlait constamment de ce français qui avait foutu un gros bordel dans tout le pays et se faisait passer pour l’héritier de Rockefeller. Puis après lorsqu’il est rentré en France et qu’on a pu découvrir cet homme si complexe et intriguant, je me suis intéressé à lui. Son livre “Mes Vies” a été un livre culte pour toute une génération. De plus, il l’a si gentiment dit, nous avons l’Amérique en commun. J’y vis depuis 20 ans. J’ai compris que son histoire était une histoire française mais avec un rythme américain. On a tout de suite matché car il avait compris mon approche différente sur sa vie, et j’ai depuis une véritable passion et compassion pour lui.
Que répondez-vous à ceux qui pourraient vous dire que vous glamourisez le banditisme ?
Je ne le glamourise pas, au contraire, je montre les effets d’un vie perdue à vouloir trop la gagner. Il n’y a rien de glamour dans le banditisme. En revanche mon travail est de raconter une histoire avec tout le réalisme possible en y plongeant le public afin qu’il s’attache à l’histoire et la psychologie du personnage. Je veux que le public soit plongé dans la tête de Christophe. Toutes les histoires et parcours de vies méritent d’être racontés, surtout lorsque l’individu a payé sa dette auprès des tribunaux.
Vous êtes le réalisateur de ce film, mais vous êtes aussi producteur : le documentaire a-t-il été un défi financier et technique, et si oui vous comment l’avez vous surmonté ?
Je suis tellement passionné parce que je fais qu’il n’y a aucun défi qui puisse me faire peur, ni que je puisse surmonter. Avec moi, tout est rendu possible et se concrétise. Pour chaque sujet, je crée une nouvelle technique. L’histoire de Rocancourt est tellement singulière et pleine de rebondissement que le film devait refléter tout cela. J’ai dû explorer de nouvelles techniques et ce film m’a énormément fait progresser. J’ai mélangé plusieurs styles et crée un genre nouveau de documentaire qui mélange le thriller hollywoodien, le film d’action, le documentaire et l’interview spontanée, sans oublier la sensibilité et l’émotion 100% made in France. J’y ai cru plus que quiconque et je remercie Christophe d’avoir cru en moi et de m’avoir accordé sa confiance face aux plus grands réalisateurs et producteurs au monde. Je voulais vraiment rendre justice à cette histoire mythique qui fait partie du patrimoine français et que j’ai traitée avec tout mon cœur et respect. Je pense que le public le sent, même en regardant la bande-annonce.
Le montage du film est très dynamique, les couleurs étalonnées à l’américaine, le documentaire semble taillé pour les plateformes : ces choix artistiques sont-ils volontaires et si oui pourquoi ?
Merci beaucoup pour vos mots. Je suis heureux que vous le voyez. En effet, j’ai une culture de divertissement 100% américaine, mais avec une âme française et même banlieusarde. Christophe a fait ce chemin unique. Je voulais avant tout faire un film pour le cinéma. C’est d’ailleurs en salles que j’ai testé le film et conçu le film avec des effets qui puisse faire sauter le spectateur de son siège. Je voulais créer une vraie expérience cinématographique pour le spectateur. J’ai d’ailleurs moi-même fait tout le montage et l’étalonnage. L’histoire Rocancourt est avant tout faite pour le cinéma.
Avez-vous eu des difficultés quant à la diffusion du film en salles, et si oui pourquoi ?
J’ai été surpris que certaines salles ne souhaitaient pas montrer un film sur “quelqu’un qui a été en prison”. Ce qui est pour moi une pure discrimination. Il a payé sa dette à la société. D’ailleurs, le film démarre par : « Ne me jugez pas, les tribunaux s’en sont déjà chargés ». Son histoire est une leçon de pur courage et le parcours d’un homme qui est tombé et qui a su se reconstruire et devenir un père idéal. Christophe Rocancourt est une personnalité historique qui a le courage de raconter son parcours, ses erreurs et passé.
Vous avez déjà réalisé plusieurs films sur des personnages originaux, vous présentez ce film sur le mythe Rocancourt, et vous avez déjà, j’imagine, des projets à venir : est-ce que c’est une passion pour la liberté d’expression et l’envie de donner la parole aux êtres aux destins marginaux, voire incompris ou sulfureux, qui vous animent également ?
Ces personnages sont avant tout des rencontres humaines importantes. Lorsque je fais un film, je passe près d’un an sur le tournage & montage et ensuite un an sur la promotion du film en salles, festivals et plateformes. Donc ce sont des centaines d’heures que vous passez à travailler sur votre sujet. J’aime absorber leurs psychologies et j’apprends tellement de chacun d’entre eux. Si vous souhaitez faire un film passionnant, vous devez être avant tout passionné par votre sujet!
De quoi êtes-vous le plus fier au sujet de ce documentaire ? Pour vous, quelle est sa singularité par rapport à d’autres productions sur le même sujet ?
Aucun autre film ou même reportage n’a su montrer la psychologie de Christophe Rocancourt, et s’est surtout intéressé à son ressenti aux divers évènements de sa vie. Ce film est le film définitif sur Rocancourt dans lequel il se livre complètement. Aucun acteur ne peut exprimer ce que Christophe ressent lorsqu’il se retrouve sur la tombe de son père et lorsqu’il voit une déclaration de sa fille Tess, ou bien lorsqu’il est placé en prison de haute sécurité et qu’il côtoie la mort tous les jours, ou encore lorsqu’il revient sur les traces de son enfance.
Peut-on le voir si on ne connaît pas Christophe Rocancourt ?
Bien entendu, le film raconte toutes les équations de sa vie et le C.V de ses cicatrices de ses parents à aujourd’hui. Nous sommes tous des Christophe Rocancourt, car nous souhaitons toujours cultiver une meilleure version de soi-même. Venez voir ce film et je vous promets que vous verrez votre propre vie très différemment.
Un dernier mot ?
Le voici : ROCANCOURT. C’est le titre de mon film, qui à lui seul évoque tellement de choses et également rend hommage à ceux que Léo Férré appelle dans “Avec le temps”, ces “pauvres gens”. C’est gens qui n’ont pas démarré la vie sur la même ligne de départ que la plupart d’entre nous. Désormais une nouvelle aventure s’ouvre, le film sera montré à Cannes au Marché du Film avec une grande after party chez mes amis de l’Arc de Cannes. Puis il aura une nouvelle sortie en juin à Paris ainsi que dans d’autres villes de France, ainsi que la Belgique, Maroc etc. En septembre, le film sort aux USA. L’histoire de ce film est loin d’être fini. Et un grand merci à vous pour votre intérêt et soutien envers ce film qui restera pour sûr une œuvre majeure de ma carrière.